La biodiversité.
Un sujet dont on entend beaucoup parler.
Un sujet simple, me diriez-vous ?
Lorsque j’ai décidé d’écrire un billet de blogue sur le déclin de la biodiversité des insectes, je n’avais pas réalisé dans quoi je m’embarquais !
En décembre dernier, la « COP15 » était largement couverte dans les médias. À ce moment, je suis tombée sur d’intéressants articles sur le sujet, dont plusieurs partagés sur LinkedIn. Voulant battre le fer pendant qu’il est chaud, j’ai saisi l’opportunité pour me documenter davantage en vue d’une prochaine publication.
Le sujet s’avéra bien plus riche encore que je le croyais.
Par ailleurs, au moment d’écrire ces premières lignes, je sors d’une visioconférence, animée par nulle autre que Jean Lemire (Mission Antarctique, entre autres), qui touche elle aussi la protection de la biodiversité. Inspirant, tout cela !
Par où commencer ?
Vous avez entendu parler de la COP15 ? J’avais déjà entendu parler de « COP » touchant les changements climatiques, mais d’autres existent. La COP15 dont je vous entretiens ici, c’est la 15e Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies. Tenue à Montréal en décembre 2022, elle rassemblait des gouvernements du monde entier. Lieu de négociations et d’adoption de plans stratégiques, son objectif ultime était de créer un nouveau cadre mondial pour freiner la perte de la diversité de la vie sur la planète, rien de moins !
Mais pourquoi accorder tant d’importance à la biodiversité ?
Les recherches des dernières années tendent à démontrer qu’il y a un déclin global de la biodiversité des organismes vivants sur notre planète. Certes, quelques espèces profitent de niches libérées par d’autres et prolifèrent. Mais, globalement, il semble y avoir d’importantes pertes.
Et nos insectes bien-aimés ne font pas bande à part.
Dans la littérature, on retrouve différentes statistiques : population globale d’insectes qui diminue de 2 % par année (Janicki et collab., 2022), taux dramatiques qui pourraient conduire à l’extinction de 40 % des espèces d’insectes du globe dans les prochaines décennies (Sánchez-Bayo et Wyckhuys, 2019), et j’en passe !
Cette tendance est également observée au Canada et au Québec, où les papillons et les coléoptères figurent au palmarès d’insectes dont le plus grand nombre d’espèces endémiques sont présumées disparues.

Un déclin qui préoccupe
Pourquoi ce déclin est-il si préoccupant ?
C’est que les insectes et autres invertébrés jouent un rôle indispensable dans les écosystèmes planétaires :
- Ils sont à la base des chaînes alimentaires terrestres et aquatiques. Ils soutiennent donc une vaste panoplie d’animaux qui, à leur tour, nous nourrissent, nous habillent et nous permettent de survivre.
- Ils décomposent les fèces, les plantes mortes et les carcasses d’animaux. Ils contribuent ainsi au recyclage des nutriments essentiels à la croissance des plantes et, une fois de plus, à notre subsistance !
- Ils régulent les pestes en milieu agricole. En se nourrissant d’autres invertébrés qui sont des ravageurs de cultures, ils permettent d’épargner des milliards de dollars en dégâts ou en achats de pesticides.
- Ils pollinisent les plantes. 87 % de toutes les espèces de plantes et 75 % des plantes de cultures nécessitent d’être pollinisées; ce sont les insectes qui jouent majoritairement ce rôle. Sans eux, la plupart de nos aliments n’existeraient tout simplement pas.
- Ils contribuent à la fertilité des sols. En aérant et réarrangeant le sol, ils permettent une meilleure rétention de l’eau et des nutriments.
L’importance des insectes est donc indéniable.
Parmi les sources que j’ai consultées, plusieurs illustrent l’importance des insectes par rapport à tous les autres organismes du règne animal. Je vous partage quelques statistiques surprenantes, qui ont de quoi à nous faire sentir tout petit :
- Quatre ordres d’insectes, soit les diptères, les hyménoptères, les lépidoptères et les coléoptères, constituent ensemble environ 65 % de toutes les espèces connues sur notre planète;
- Les coléoptères représentent à eux seuls 24 % de toutes les espèces animales vivant sur la planète;
- Il y a plus d’espèces de longicornes (une seule famille de coléoptères) que d’espèces d’oiseaux;
- Il y a autant d’espèces de coccinelles qu’il y a d’espèces de mammifères;
- Il y a plus d’espèces de charançons que d’espèces de poissons.
Malgré la prédominance des insectes sur notre planète, il reste étonnant, voire inquiétant, de constater qu’on en sait si peu sur ces derniers. En effet, alors qu’on a évalué l’état de vulnérabilité de la totalité des espèces d’oiseaux connus, ainsi que de la majorité des reptiles, amphibiens, poissons et mammifères, à peine 1 % des 1 053 578 insectes connus ont été examinés… Et sur ce lot, une espèce sur cinq est déjà considérée comme menacée. Qu’en serait-il si nous en évaluions davantage ?
Je suis par ailleurs attristée d’apprendre que, parmi mes insectes aquatiques préférés, toutes les espèces de plécoptères et d’éphémères qui ont été évaluées jusqu’à présent sont menacées ou éteintes. De plus, plusieurs espèces de libellules et de trichoptères affichent, elles aussi, un statut précaire. Tant d’espèces que je n’aurai jamais le bonheur d’observer !

Un déclin à l’échelle planétaire
Si ce déclin est généralisé, qu’est-ce qui peut en être la cause ?
Comme pour tout problème environnemental complexe, il n’y a pas qu’un seul facteur en jeu. Ceux qui sont le plus souvent cités dans les sources que j’ai consultées sont :
- Les changements climatiques;
- Les pesticides et les fertilisants, en particulier ceux utilisés en milieu agricole;
- La fragmentation et la destruction des habitats naturels;
- Les espèces exotiques envahissantes;
- La pollution lumineuse.
Je pourrais écrire longuement sur les effets respectifs de ces facteurs sur la biodiversité des invertébrés, mais cela excède la portée de mon billet. Je vous invite à jeter un coup d’œil aux sources citées à la section « Pour en savoir plus » si vous êtes curieux !
Ce qui est important de retenir, c’est que les insectes et les autres invertébrés sont confrontés à une multitude de menaces qui, combinées, réduisent leurs chances de s’en sortir. Par exemple, une simple abeille butineuse peut être exposée, tour à tour, à des pesticides, à des parasites introduits, à un habitat fragmenté nécessitant des déplacements plus importants pour trouver les fleurs qu’elle préfère, à des aléas météorologiques auxquels elle n’est pas adaptée, et ainsi de suite ! Qui plus est, Goulson (2021) souligne que certains de ces facteurs conduisent à un effet synergique plus grand que la somme de chaque partie, ce qui aggrave davantage la situation.
Avons-nous des solutions ?
Il est facile de se sentir impuissant devant tous ces constats. Si les insectes, des êtres qui sont issus de millions d’années d’évolution, font face à de multiples menaces, que puis-je faire, moi, simple mortel ?
Plusieurs pistes sont proposées par les sources consultées (non exhaustives) :
- Réduire l’utilisation de pesticides ou de fertilisants sur nos pelouses;
- Opter pour des produits biologiques à l’épicerie, ce qui encouragera les entreprises agricoles à utiliser elles-mêmes moins de pesticides et de fertilisants;
- Favoriser les aires fleuries dans nos cours et nos jardins;
- Participer à des initiatives de science citoyenne qui permettent de suivre les populations d’organismes, de sensibiliser à leur sujet et de mieux les protéger. Voici quelques exemples près de nous : Cap sur les insectes, G3E, iNaturalist.
- Diffuser l’information sur les insectes pour réduire les fausses perceptions et faire connaître le rôle crucial qu’ils jouent. Exemples québécois visibles sur les réseaux sociaux : Folles Bestioles, Le labyrinthe des insectes, La Bibitte Mobile, Photos d’insectes du Québec… et votre humble servante !
- Exercer notre droit de vote en faveur d’une volonté d’action sur les facteurs contribuant au déclin des insectes.
Sur ce dernier point, Kolbert (2020) et Goulson (2021) montrent que la pression politique exercée par les citoyens peut mener à des changements notables. Ils citent l’Union européenne, qui a banni les néonicotinoïdes, une sorte de pesticides réputée avoir des effets nocifs notamment sur les abeilles, et le gouvernement allemand, qui a adopté un programme d’action pour la protection des insectes. De plus, la municipalité de Hudson, au Québec, est mentionnée comme étant la première municipalité nord-américaine à avoir interdit les pesticides en 1991. On lit sur le site de la municipalité (Ville d’Hudson, 2022) que l’exemple qu’elle a donné, en gagnant à la Cour Suprême contre des entreprises agricoles qui la poursuivaient, a encouragé plus de 125 autres villes et municipalités canadiennes, dont Toronto et Ottawa, à travailler sur l’abolition des pesticides.
En outre, de chaque petit pas émergent des solutions qui prennent de l’ampleur, pour éventuellement faire consensus entre de nombreux pays.
Cela nous ramène à la COP15 de 2022, à Montréal.
Cette dernière a été jugée un succès, malgré des négociations parfois ardues. En outre, les pays riches ont accepté de fournir 30 milliards de dollars aux pays pauvres pour mettre en œuvre les actions inscrites dans le plan. Parmi celles-ci, on retrouve l’objectif de protéger 30% des terres et des océans d’ici 2030. Présentement, 17% des terres et 8% des océans sont protégés.
Même si cela peut paraître peu – ou tard – pour certains, il s’agit d’une avancée significative dans la bonne direction.

L’avocat du diable ou l’autre côté de la médaille
Vous saviez sans doute qu’une scientifique se cache derrière DocBébitte. Je ne pouvais vous présenter un sujet aussi important sans me demander s’il existait des études qui contredisent la tendance générale observée.
La réponse est… oui !
Ce constat n’est pas surprenant. En science, l’étude d’un objet aussi complexe qu’une communauté vivante peut donner lieu à une multitude de résultats différents. La nature de la communauté, sa structure, sa localisation sur notre planète, ainsi que sa sensibilité aux différents perturbateurs anthropiques et environnementaux, peuvent toutes influencer les résultats obtenus.
Ainsi, certaines études citées par Wagner et collab. (2021), ainsi que Goulson (2021) ont observé une absence de changement ou une augmentation dans l’abondance ou l’aire de distribution de groupes d’insectes :
- Insectes des régions tempérées limités par les températures hivernales, qui s’étendent maintenant vers le nord en réponse à des températures plus clémentes;
- Taxons associés aux humains et à l’urbanisation qui se dispersent avec eux;
- Insectes aquatiques qui repeuplent les cours d’eau mieux protégés par des législations de type « Clean Water Act »;
- Espèces colonisatrices – voire exotiques et envahissantes – qui augmentent leur aire de distribution;
- Espèces natives soutenues par l’apparition de plantes introduites, qui deviennent une source de nourriture inespérée.
Il est important de souligner que le tableau n’est pas entièrement sombre. Cependant, il est indéniable que la biodiversité telle que nous l’avons connue jusqu’à présent est en train de changer, et il est difficile de prédire tous les effets qu’auront ces bouleversements sur notre quotidien.
Que vous soyez convaincus de la nécessité d’agir ou que vous hésitiez à croire dans l’ampleur du déclin annoncé, personnellement, je m’interroge : « Lèguera-t-on aux générations futures la biodiversité qui m’a tant émerveillée qu’elle continue chaque jour de m’inspirer à vous partager mes découvertes ? ».

Pour en savoir plus
- Cliche, J.-F. 2022. L’effondrement des populations d’insectes est-il arrivé au Québec ? Le Soleil, 21 mai 2022. https://www.lesoleil.com/2022/05/21/leffondrement-des-populations-dinsectes-est-il-arrive-au-quebec-b29c10e5b648acad6c7f11568cd4c07c?nor=true (page consultée le 9 février 2023).
- Demers, I. 2022. Le Canada compte de plus en plus d’espèces sauvages en péril. Radio-Canada, le 29 novembre 2022. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1937090/especes-extinction-canada-biodiversite-peril (page consultée le 9 février 2023).
- Diouf, B. 2018. Apprendre sur le tas. La biologie des bouses et autres résidus de digestion. 137 p.
- Gautrin, Patricia. 2022. COP15 – 23 cibles de biodiversité à atteindre pour 2030. CScience, le 20 décembre 2022. https://www.cscience.ca/2022/12/20/cop15-23-cibles-de-biodiversite-a-atteindre-pour-2030/?gclid=Cj0KCQjw_r6hBhDdARIsAMIDhV_mID3aEqftmTZhj7T3Sc_5RAvBtnSKcgKIlsj_evp5qXbBT-VR5EoaAqFzEALw_wcB (page consultée le 7 avril 2023).
- Goulson, D. 2021. Silent Earth : Averting the Insect Apocalypse. 355 p. (Aussi disponible sur Audible.)
- Gouvernement du Canada. 2023. Conférence de l’ONU sur la biodiversité : COP15 à Montréal. https://www.canada.ca/fr/services/environnement/faune-flore-especes/biodiversite/cop15.html (page consultée le 7 avril 2023).
- Janicki, J. et collab. 2022. The collapse of insects. REUTERS GRAPHICS, le 6 décembre 2022. https://www.reuters.com/graphics/GLOBAL-ENVIRONMENT/INSECT-APOCALYPSE/egpbykdxjvq/ (page consultée le 25 décembre 2022).
- Kolbert, E. 2020. Where have all the insects gone ? National Geographic, 05.2020: 40-65.
- Mertz, L. 2023. Evidence for biodiversity insurance hypothesis : More species are indeed beneficial. Entomology Today, le 23 février 2023. https://entomologytoday.org/2023/02/23/evidence-biodiversity-insurance-hypothesis-more-wild-bee-species-beneficial/ (page consultée le 25 février 2023).
- Rad, 2022. Au cœur des négociations pour sauver la vie sur Terre. Sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=XvyMcWLF2FI&t=1s (page consultée le 25 février 2023).
- Robert, J. 2022. Préserver la biodiversité par la recherche. INRS, le 13 décembre 2022. https://inrs.ca/actualites/preserver-la-biodiversite-par-la-recherche/ (page consultée le 7 février 2023).
- Sánchez-Bayo, F. et Wyckhuys, K.A.G. 2019. Worldwide decline of the entomofauna : A review of its drivers. Biological Conservation 232 : 8-27. En ligne : https://www.boerenlandvogels.nl/sites/default/files/2019-02/Sanchez-Bayo%20%26%20Wyckhuys%202019.pdf (page consultée le 7 février 2023).
- Service des communications. 2022. L’UQTR s’associe à 10 universités pour protéger la biodiversité. NEOUQTR, le 8 décembre 2022. https://neo.uqtr.ca/2022/12/08/luqtr-sassocie-a-10-universites-pour-proteger-la-biodiversite/ (page consultée le 9 février 2023).
- SPGQ, 2022. Biodiversité et climat : retour sur la COP15 et la COP27. https://spgq.qc.ca/2023/02/biodiversite-et-climat-retour-sur-la-cop15-et-la-cop27/ (page consultée le 25 février 2023.
- Wagner, D.L. et collab. 2021. Insect decline in the Anthropocene: Death by a thousand cuts. PNAS 118 (2): 1-10. En ligne : https://web.archive.org/web/20210310104042id_/https://www.pnas.org/content/pnas/118/2/e2023989118.full.pdf (page consultée le 11 mars 2023).
- Ville de Hudson, 2022. Environnement. https://hudson.quebec/services/urbanisme/environnement-urbanisme/ (page consultée le 11 mars 2023).
Merci pour cet article et les informations fort pertinentes! Il faut poursuivre cette sensibilisation! Félicitations et Bravo!
Hubert un DocBébitte depuis plus de 50 ans avec des naturalistes, des amants de la nature! J’ai cédé ma collection d’insectes au Musée de la nature de Sherbrooke pour les générations futures!
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Merci M. Lavoie pour votre commentaire. C’est une belle action que vous avez faite, de léguer votre collection afin que les jeunes (et moins jeunes) puissent l’apprécier! Au plaisir!
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