Gagnant du concours 2024 : le silphe d’Amérique par Antoine Lantin

Roulement de tambour!

C’est l’heure de dévoiler la photographie gagnante du concours amical 2024!

Cette année, j’ai reçu beaucoup de votes et chaque photo a été grandement appréciée. Je vous remercie d’ailleurs d’avoir pris le temps de voter en aussi grand nombre.

Dans la foulée, j’ai aussi eu le plaisir de lire ce commentaire: « Merci pour ce beau concours. Moi qui n’aime pas les bibittes je me suis surprise à les trouver bien mignonnes! »

Objectif atteint!

L’une des raisons d’être du concours amical, c’est justement de mettre en valeur ces fabuleux invertébrés, souvent mal aimés.

Et qui a remporté la victoire? Il s’agit d’Antoine Lantin et de son superbe cliché présentant un silphe d’Amérique!

Félicitations à Antoine Lantin qui a remporté le concours amical 2024!

Chose promise, chose due, ladite photo est mise en vedette dans la présente chronique et je vous parlerai de cet insecte aux mœurs étonnantes dans quelques instants.

Mention honorable à Diane Ducharme pour sa belle argiope jaune et noire.

Or, avant de commencer, j’aimerais chaleureusement remercier tous les participants qui nous ont fait voir de beaux invertébrés que l’on peut retrouver au Québec.

En particulier, j’offre une mention honorable pour la photographie « Argiope jaune et noire avec son repas » de Diane Ducharme, qui s’est hissée sur la seconde marche du podium. Cette belle grosse araignée en a fasciné plus d’un!

Place maintenant au gagnant!

Le silphe d’Amérique d’Antoine Lantin

La photo gagnante de 2024 met en lumière un insecte connu de plusieurs, mais dont les mœurs peuvent surprendre, voire dégoûter. En effet, le silphe d’Amérique (Necrophila americana) est un nécrophage : il se nourrit de cadavres!

Gros coléoptère de la famille des Silphidae, sa taille atteint en moyenne 12 à 22 mm (variable selon les sources consultées). Il se reconnaît facilement par sa coloration noire et orange – une allure qui sied bien en cette période d’Halloween!

J’avais pondu en 2023 une chronique sur son cousin, le silphe marginé (Oiceoptoma noveboracense). Les adultes des deux espèces se distinguent à l’œil nu par l’examen de leur pronotum (partie située immédiatement sous la tête, en vue dorsale). Celui du silphe d’Amérique est caractérisé par une petite tache noire encerclée d’une épaisse bande orange (certaines sources qualifient la couleur de jaune-orangé). Le pronotum du silphe marginé, quant à lui, comporte une tache noire plus étendue, cernée d’un plus mince contour orangé, qui paraît par ailleurs plus rougeâtre.

Le silphe d’Amérique, à gauche, et le silphe marginé, à droite.

À première vue, les larves du silphe d’Amérique peuvent être confondues avec des cloportes si on les observe rapidement (voir ces photos sur iNaturalist). Celles du silphe marginé s’en distinguent, car elles comportent des marges pâles autour du corps.

Les adultes pondent leurs œufs sur ou près des carcasses visitées. Ces derniers se développent en quelques jours. Aussitôt sorties de l’œuf, les larves se nourrissent des restes en décomposition. Au moment de former leurs pupes, elles se laissent tomber au sol, près des carcasses, et y creusent un abri. Environ trois mois s’écoulent entre le début du stade larvaire et le stade adulte. Il n’y a qu’une génération par année et les adultes survivent à l’hiver.

Dans les sources que j’ai consultées, j’ai noté des contradictions dans le nombre d’œufs pondus. Sur BugGuide, au moment de la rédaction du présent billet (20 octobre 2024), il était mention d’un œuf pondu par carcasse visitée. En revanche, j’ai lu ailleurs (LSU – College of Agriculture) qu’une femelle pouvait pondre des masses de 5 à 10 œufs dans le sol autour d’une carcasse donnée, et ce, lors de chaque nouvelle copulation avec un mâle. Ayant observé moi-même de grandes quantités (des centaines!) de larves de silphes en train de dévorer des carcasses, je pencherais davantage pour cette seconde source. Si chaque femelle ne pondait qu’un seul œuf, la quantité totale de larves présentes à un site donné serait sans doute bien moindre! Si vous en savez plus sur ce sujet, je vous invite à m’en faire part dans la section « commentaires ».

Comme indiqué plus tôt, les adultes et les larves sont nécrophages. Ils se nourrissent de cadavres d’animaux – mammifères, poissons et autres, ils ne font point la fine bouche, tant que l’animal est suffisamment gros pour soutenir leur cycle de vie! Ils semblent plus fréquemment évoluer sur des carcasses un peu plus vieilles, que les asticots délaissent, et s’alimentent donc davantage de la chair et de la peau séchées, des os et des poils. De plus, les adultes intègrent à leur diète des champignons et des fruits en décomposition, ainsi que de la sève s’écoulant des blessures des arbres. Les adultes et les larves se délectent également d’insectes vivants, notamment les larves de mouches et des autres silphes qu’ils croisent sur les carcasses dévorées.

Silphe d’Amérique sur une carcasse de poisson.

On les rencontre au printemps et à l’été, particulièrement dans les milieux ouverts ou boisés, pourvu qu’ils soient plutôt humides. Leur aire de distribution s’étend du Manitoba à la Nouvelle-Écosse, au nord, et de l’est du Texas à la Floride, au sud. Bref, ils sont bien représentés sous nos latitudes et constituent des coléoptères souvent rencontrés au Québec – à condition que vous soyez prêts à examiner les carcasses d’organismes morts!

Lors de mes recherches, j’ai lu que ces gros coléoptères, actifs durant le jour, ressemblent à des bourdons lorsqu’ils sont en vol. Cela m’a fait sourire: lors d’activités en plein air cet été, j’ai aperçu à plusieurs reprises de gros arthropodes noir et orange, en vol, qui me faisaient penser à des bourdons, mais que je soupçonnais être des coléoptères. Je n’aurai pas eu le temps de les photographier, mais il est fort possible que j’aie assisté au vol de silphes, qui sait?

Un autre fait intéressant, c’est qu’il existe une relation de mutualisme entre le silphe d’Amérique et les acariens du genre Poecilochirus (voir ce genre sur iNaturalist). Ces petites « mites » dévoreuses de carcasses en décomposition sont incapables de voler. Elles utilisent donc le silphe d’Amérique en guise de taxi, grimpant sur ce dernier pour être transportées d’un animal mort à l’autre!

Si l’étude des silphes vous interpelle, Dubuc (2007) indique qu’il est facile de les collecter, en les attirant à l’aide d’un piège-fosse contenant des restes de viande. Une fois capturés, il recommande cependant de les manipuler à l’aide de petites pinces et de les tremper dans l’alcool pour tuer les bactéries. Si vous avez le cœur solide, vous pouvez également les récolter… en examinant les cadavres d’animaux le long des routes!

Même si les habitudes de ces insectes vous semblent répugnantes, sachez qu’il s’agit néanmoins d’organismes fort utiles! Les silphes d’Amérique contribuent à la décomposition et au recyclage, dans l’environnement, de la matière organique et des substances nutritives qu’elle contient. Ils jouent par conséquent un rôle important dans le bon fonctionnement des écosystèmes.

De manière générale, les nécrophages peuvent aussi être utilisés en entomologie judiciaire, comme je l’explique dans mon précédent billet sur les silphes marginés. Quelle belle façon de nous aider à résoudre des crimes!

Je félicite à nouveau Antoine Lantin de nous avoir fait découvrir le très utile silphe d’Amérique! Malgré son mode de vie particulier, il s’agit d’un très bel insecte franchement bien capturé sur photo par M. Lantin.

Enfin, je remercie les participants au concours, de même que toutes les personnes qui ont pris le temps de voter. Ce concours amical nous a fait voyager à travers le Québec et nous a fait découvrir la fabuleuse diversité de sa faune invertébrée!

On se dit à l’année prochaine!

Pour en savoir plus

400e publication de blogue ! Le silphe marginé : un charognard surprenant !

Pour célébrer cette 400e publication de la page docbebitte.com, je vous ai soumis, il y a quelques semaines, trois sujets pour lesquels voter :

  • #1. Photographier les mouches : quoi viser pour mieux les identifier ?
  • #2. Le silphe marginé : un charognard surprenant !
  • #3. La dolomède triton : une araignée qui aime l’eau !

La lutte a été chaude, avec 8 votes pour les thèmes 1 et 3, alors que le thème du silphe récoltait 9 votes. C’est donc de ce coléoptère original que je vais vous entretenir !

À noter que, pendant que je préparais les présentes lignes, j’ai reçu un vote tardif pour le thème 3… Créant l’égalité ! Visiblement, tous les thèmes mentionnés vous intéressent, chers lecteurs ! Je note donc de vous parler des autres sujets prochainement !

Mais, pour l’instant, place à la 400e publication ! Le silphe marginé : un charognard surprenant !

Le silphe marginé (Oiceoptoma noveboracense) est un coléoptère qui appartient à la famille Silphidae. Les membres de cette famille se nourrissent de cadavres ou de végétation en décomposition, selon l’espèce. Ce sont des nécrophages.

Les silphes marginés adultes sont d’assez grande taille (10 à 15 mm, selon les sources) et figurent parmi les plus gros – et souvent les plus colorés – organismes retrouvés sur des animaux en décomposition. Diurnes, ils nous donnent d’ailleurs l’occasion de les observer en plein jour !

En plus de se nourrir de cadavres, les adultes consomment des œufs de mouches, ainsi que leurs larves (des asticots), qui s’affairent elles aussi à dévorer le cadavre. Selon Evans (2014), on peut également les observer mangeant des champignons ou encore buvant la sève s’écoulant d’arbres blessés.

Le silphe marginé est reconnaissable par son pronotum (la partie située immédiatement sous la tête en vue dorsale) : il est noir bordé d’orange-rouge vif (certaines sources parlent de couleur saumon), d’où le nom « marginé ». Le bout de ses antennes est flanqué de « massues ». Outre la petite touche de couleur sur le pronotum, le reste de l’individu est noir ou brun foncé. On le distingue de son cousin, le silphe d’Amérique (Necrophila americana), dont le pronotum possède plus d’orange encerclant une plus petite tache noire.

Distinction entre le silphe d’Amérique, à gauche, et le silphe marginé, à droite.

Tout comme l’adulte, les larves sont nécrophages, mais se nourrissent également des œufs et des larves de mouches. Fait surprenant, quand j’ai initialement pris les photos et vidéos qui accompagnent la présente chronique, je croyais que les très abondants organismes présents aux côtés des silphes adultes étaient une sorte de cloporte que je ne connaissais pas. Il faut dire que, contrairement à mes habitudes, je ne m’étais pas grandement approchée du cadavre et je n’avais pas manipulé les arthropodes qui y grouillaient. Vous me comprendrez sans doute !

Bref, il s’avère que les larves du silphe marginé ont un corps compact de couleur brun-gris, très similaire à celui des cloportes. Cependant, on les distingue par le fait qu’ils ont une tête bien définie et six pattes – les cloportes en possèdent davantage. Le pourtour de leur corps est bordé par une couleur plus pâle, ce qui n’est pas le cas des larves du silphe d’Amérique, uniformément sombres. Cela lui sied bien étant donné son nom français « marginé » !

Le silphe marginé adulte, en haut à droite, et une larve dont les pattes et la tête sont visibles, en bas à gauche.

Le silphe marginé se rencontre des grandes plaines du centre du continent, jusqu’à l’est, dans les Maritimes. Dans la partie ouest de son aire de distribution, il est plus couramment retrouvé dans les prairies, alors qu’on le rencontre davantage dans les zones forestières, souvent des forêts décidues, dans la partie est. Pour ma part, j’ai fait la rencontre de ce coléoptère en faisant de la randonnée dans le Parc national du Lac-Témiscouata. Les traces de cerfs de Virginie étaient extrêmement abondantes : nombreuses crottes le long des sentiers, ainsi que des os et des poils de deux individus décédés près des sentiers, ce qui nous a permis de faire les fascinantes observations que je vous relate. D’ailleurs, vous l’entendrez dans la vidéo ci-jointe, les randonneurs qui m’accompagnaient se sont moqués un peu de ma fascination pour ces insectes dont le menu laissait à désirer…

Les adultes du silphe marginé survivent à l’hiver et émergent tôt au printemps pour se reproduire. Lors de mes recherches, je suis tombée sur un article scientifique examinant notamment l’arrivée de décomposeurs sur une carcasse de porcelet qui avait passé l’hiver à l’extérieur (Grégoire Taillefer et Giroux, 2021). Bien que des espèces de diptères furent les premières à trouver la carcasse, les silphes marginés sont tout de même apparus en assez grande abondance dès la mi-mai. Sans doute que la stratégie de traverser les rigueurs de l’hiver sous forme adulte leur permet d’être actifs assez rapidement le printemps venu.

Avis aux collectionneurs : Dubuc (2007) indique que les silphes peuvent être attirés par un piège-fosse contenant des restes de viande. On peut donc facilement les y attraper. Il recommande cependant de manipuler les spécimens avec précaution (ex.: portez des gants ou utilisez des pinces) et les tremper dans l’alcool à 70 % ou plus avant d’en faire quoi que ce soit, question de tuer les bactéries… Et peut-être les odeurs, qui sait ?!

J’aime relater mes observations d’insectes de toutes sortes, dont certaines se font dans des circonstances jugées macabres par certains. Oui, oui, j’ai notamment reçu des commentaires d’internautes répugnés par le fait que je filme des asticots dévorant une hermine retrouvée morte dans ma remise. Pourquoi prendrais-je donc le risque de vous présenter ces organismes ?

C’est que, malgré leurs mœurs qui ne plaisent pas à tous, il s’agit d’insectes fort utiles.

Les silphes marginés sont en effet utilisés en entomologie judiciaire. La présence des différents stades (larves et adultes), combinée avec la présence d’autres organismes comme les asticots (larves de diverses espèces de mouches), permettent d’obtenir des renseignements sur le moment du décès. Ces renseignements inestimables peuvent contribuer à attraper les contrevenants et résoudre des crimes.

D’ailleurs, je vous fais un aveu : je suis présentement en train de réécouter la série « Bones » au grand complet et, bien que j’adore le personnage principal, Temperance Brannon, surnommée « Bones », le Dr. Jack Hodgins, entomologiste s’autoproclamant roi du laboratoire, m’amuse tout particulièrement. Quel fascinant boulot… même vu au travers d’une télésérie !

Je referme la parenthèse pour revenir sur l’utilité des silphes. En plus de permettre d’attraper les « méchants », les silphes participent à la décomposition et au recyclage de la matière organique et des substances nutritives qu’elle contient dans l’environnement. Ils contribuent par conséquent grandement au bon fonctionnement de nos écosystèmes !

La prochaine fois que vous verrez ces insectes nécrophages, saluez-les pour leur beau travail ! Macabres ou pas, ils ont leur place parmi nous !

Joli coléoptère, malgré sa diète qui suscite le dégoût !

Pour en savoir plus