Une tétragnathe riveraine

T. elongata 3
Vue dorsale d’une femelle T. elongata
T. elongata 2
Vue latérale d’une femelle T. elongata
T. elongata 1
Autre prise de vue, même individu

Plus tôt en juillet, j’eus le plaisir de séjourner en chalet sur le bord d’un lac pendant une semaine. Je fis maintes observations entomologiques et pris moult photographies et vidéos d’invertébrés aquatiques ou riverains. Parmi les individus rencontrés figuraient de très nombreuses araignées de la famille Tetragnathidae.

Les araignées appartenant à cette famille sont nommées en anglais « long-jawed orb-weaving spiders », ce qui se traduirait en français par tisseuses de toile orbiculaire à larges mâchoires. Comme ce surnom le suggère, nos tétragnathes possèdent des chélicères généralement proéminentes qui sont faciles à voir sur les plus gros spécimens à l’œil nu. Elles tissent fréquemment des toiles de forme orbiculaire qui sont disposées à l’horizontale, contrairement aux araignées des jardins (épeires diadèmes) dont la toile est construite sur le plan vertical (voir cette chronique).

Certaines espèces de Tetragnathidae – mais pas toutes – sont aussi caractérisées par un abdomen très long. C’était le cas des individus retrouvés sur le bord du lac que j’ai visité. Il s’agissait d’ailleurs d’un critère m’aidant à identifier plus précisément à quel groupe j’avais affaire. Parmi les critères utilisés, j’examinai sur mes photographies la forme et la taille des chélicères, du céphalothorax, ainsi que de l’abdomen, de même que la disposition des yeux. Afin de parvenir à une identification excluant tout doute, il aurait été préférable que je puisse examiner les organes reproducteurs des spécimens en question, mais cela n’était pas possible à partir des photographies que j’avais prises. Néanmoins, les individus figurant sur mes clichés présentaient des caractéristiques très typiques de l’espèce Tetragnatha elongata – une espèce fréquentant les bords de cours d’eau et de lacs si je me fie aux sources consultées. Également, quelques comparaisons supplémentaires sur Bug Guide (Bugguide.net) m’aidèrent à cristalliser mon identification.

Paquin et Dupérré (2003) confirment que cette espèce est une spécialiste des habitats riverains. Cela explique pourquoi nous en voyions en si grande quantité. Ces dernières étaient présentes à un point tel qu’elles faisaient leurs toiles sur les pédalos, les canots et les kayaks que nous utilisions quotidiennement. Il n’était pas surprenant qu’une d’entre elles grimpe sur notre jambe ou notre bras pendant que nous effectuions une promenade sur l’eau. Toutefois, comme je pus en témoigner en manipulant plusieurs de ces bêtes, celles-ci n’étaient aucunement agressives. Pourtant, la longueur des chélicères et des crocs qu’elles portent sont plutôt intimidants! Il n’en demeure pas moins qu’elles étaient très douces et dociles lorsque manipulées!

Étant donné l’abondance de mâles et de femelles côtoyant les mêmes milieux, il me fut possible de filmer une séance de copulation. La vidéo est disponible ci-dessous; vous pourrez voir le mâle féconder la femelle à l’aide de ses pédipalpes qu’il met en contact avec l’épigyne de cette dernière (pour un petit rappel sur les organes reproducteurs des araignées, voir cet article). Les pédipalpes du mâle sont très allongés et bien visibles sur la vidéo. De plus, vous pourrez y voir à quel point le mâle et la femelle sont différents en forme et en coloration. C’est ce qu’on appelle le dimorphisme sexuel. Dans le présent cas, c’est la femelle qui est nettement plus grosse que le mâle.

Fait intéressant selon Paquin et Dupérré (2003) : les mâles du genre Tetragnatha sont munis de chélicères armées d’épines. Ces dernières leur permettraient de bloquer les chélicères de la femelle au moment de l’accouplement… permettant au mâle d’éviter de devenir le repas du jour! C’est qu’elle n’est pas toujours commode, la dame!

T. elongata Pédalo
Ces tétragnathes étaient abondantes sur nos pédalos et kayaks
T. elongata Copulation
Accouplement de deux T. elongata (femelle à gauche, mâle à droite)

Bien que bon nombre de membres de la famille Tetragnathidae aient une affinité pour la végétation près des cours d’eau, il semble que T. elongata soit encore plus étroitement associée aux habitats riverains. Selon Bradley (2013), cette espèce n’a été retrouvée jusqu’à maintenant qu’en bordure de plans d’eau. Dondale et al. (2003), ainsi que Gillespie (1987) ajoutent que cet arachnide requière un accès régulier à l’eau, sans quoi il se déshydraterait facilement. Une bonne façon de voir cette belle grosse tétragnathe serait donc de longer les rives boisées à leur recherche; les branches des arbustes qui ploient à quelques centimètres de l’eau semblent être un parfait habitat pour elles. D’ailleurs, une des journées où j’explorais le lac, à la recherche de libellules, j’accrochai à quelques reprises des tas de broussailles et d’arbustes poussant le long des rives – il faut dire que c’était une journée venteuse et que je peinais à stabiliser mon embarcation tout en prenant des photos! Mon kayak se retrouva chaque fois envahi d’une grande quantité de tétragnathes.

Tisser sa toile en bordure des milieux aquatiques comporte des avantages. En plus de bénéficier d’une source d’eau en permanence, les milieux aquatiques constituent des écosystèmes riches en invertébrés de toutes sortes. À titre d’exemple, lors de mon séjour d’une semaine, je pus voir un très grand nombre d’insectes aquatiques en émergence : chironomes, maringouins, mouches à chevreuil et à cheval, libellules (zygoptères et anisoptères), tipules, éphémères et trichoptères… rien de moins! Plusieurs de ces insectes sont de taille à s’enchevêtrer dans les toiles et à être capturés par nos tétragnathes. C’est peut-être pour cette raison que je trouvais qu’elles étaient bien dodues! Il faut dire aussi que l’espèce T. elongata peut atteindre 13 millimètres de longueur (femelle), ce que je qualifierais de taille moyenne pour une araignée.

En outre, il semble facile de repérer cette tétragnathe dont le milieu de vie est intimement lié aux écosystèmes aquatiques. Tout comme les limnologistes de ce monde – dont je fais partie –, elles savent apprécier la richesse des habitats riverains!

 

Vidéo 1. Couple de T. elongata qui s’adonne à la chose! Le dimorphisme sexuel est apparent entre la femelle (à gauche) et le mâle (à droite).

 

Vidéo 2. Femelle T. elongata qui récupère progressivement sa toile (voir la « boule » formée près de ses pattes avant). Gillespie (1987) avait observé un fort taux de construction (ou reconstruction) de toiles par cette espèce en situation de forte densité de proies. Quotidiennement, les individus observés refaisaient leur toile.

 

Pour en savoir plus

  • Bradley, R.A. 2013. Common spiders of North America. 271 p.
  • Bug Guide. Species Tetragnatha elongatahttp://bugguide.net/node/view/417412
  • Dondale, C.D., Redner, J.H., Paquin, P. Et H.W. Levi. 2003. The insects and arachnids of Canada Part 23 – The Orb-Weaving Spiders of Canada and Alaska.
  • Evans, A.V. 2008. Field guide to insects and spiders of North America. 497 p.
  • Gillespie, R.G. 1987. The mecanism of habitat selection in the long-jawed orb-weaving spider Tetragnatha elongata (Araneae, Tetragnathidae). Journal of Arachnology 15 : 81-90.
  • Paquin, P. et N. Dupérré. 2003. Guide d’identification des araignées (Araneae) du Québec. 251 p.
  • Wikipedia. Tetragnatha elongata. https://en.wikipedia.org/wiki/Tetragnatha_elongata

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