Le ruisseau aux éphémères

Si vous me suivez sur la page Facebook DocBébitte, vous avez vu passer la semaine dernière une vidéo portant sur quelques invertébrés aquatiques capturés lors d’une sortie éducative à Port-au-Saumon, sur le site du Camp ERE de l’Estuaire. J’y étais invitée afin d’effectuer une petite animation auprès de jeunes du secondaire, activité qui nous conduisait aux abords d’un petit ruisseau sur le territoire du camp.

Naïades d’éphémères de la famille Ephemerellidae capturées avec des étudiantes du secondaire
Naïades d’éphémères de la famille Ephemerellidae capturées avec des étudiantes du secondaire
Écosystème échantillonné
Écosystème échantillonné

J’étais allée inspecter le terrain une heure ou deux avant l’animation, question de m’assurer que les tronçons visités recélaient bel et bien de quelques trésors. J’avais donc remarqué que beaucoup d’éphémères se cachaient parmi les mousses tapissant les roches.

De retour avec les étudiantes, nous nous affairâmes à soulever des roches, gratter la mousse et collecter ce qui y vivait. Entre quelques larves de tipules, de trichoptères et d’une naïade de libellule, la majorité de l’échantillon était composé, sans trop de surprise, de naïades d’éphémères.

Vous aurez remarqué que j’utilise le terme naïade pour désigner ce stade de vie des éphémères. En anglais, on utilise typiquement le terme « larva », mais je m’étais fait expliquer par un entomologiste que le bon terme français pour désigner le stade « larvaire » d’un insecte aquatique subissant une métamorphose simple (libellules, plécoptères et éphémères en particulier) est « naïade ». En outre, il s’agit du stade de nymphe aquatique. Leçon de français 101 terminée!

Ceci étant dit, la vaste majorité des éphémères appartenait à la famille Ephemerellidae, probablement le genre Ephemerella si je me fie aux angles des différentes photos que j’ai prises et aux quelques spécimens préservés. À noter que je n’ai gardé que les spécimens qui n’avaient pas survécu à l’échantillonnage et j’ai relâché tous les autres après avoir pris les vidéos et les photos que vous pouvez apprécier dans la présente chronique.

Individu au fond de ma main; ils font de 4 à 15 mm
Individu au fond de ma main; ils font de 4 à 15 mm
Autre individu; ses deux cerques et son filament médian (ses trois « queues ») sont ici bien visibles
Autre individu; ses deux cerques et son filament médian (ses trois « queues ») sont ici bien visibles

La famille Ephemerellidae est largement répandue à l’échelle de l’Amérique du Nord. Les membres de ce groupe se retrouvent principalement dans les cours d’eau lotiques, soit où l’eau s’écoule de façon dynamique. Ils habitent aussi à l’occasion les rives des lacs où l’action des vagues est récurrente. Voshell (2002) précise que les naïades trouvent notamment refuge entre les interstices des roches ou encore dans la mousse qui pousse sur ces dernières. Pas surprenant que nous les ayons observées dans le petit ruisseau Sainte-Marguerite, où les eaux fraîches cascadent assez promptement sur des roches recouvertes de mousses.

Comme elles vivent souvent en eaux courantes, la forme de leur corps est relativement aplatie et leur permet donc de rester accrochées au substrat sans y être délogées. Leur mode de locomotion principal consiste ainsi à grimper et ramper, comme on peut le voir dans les vidéos ci-dessous. Elles respirent sous l’eau à l’aide de branchies qui parcourent chaque côté de leur abdomen. Ce sont ces dernières que l’on voit s’agiter dans les vidéos que j’ai prises. Chez la famille Ephemerellidae, la disposition des branchies est l’un des critères qui aident à l’identification. En effet, ce groupe est muni de branchies plus ou moins ovales qui commencent au segment 3 ou 4 de l’abdomen. Il n’y en a pas sur le second segment. C’est notamment en examinant à partir de quel segment apparaissent les branchies (attention, ce n’est pas le seul critère, mais c’est un des indices à surveiller!) que l’on peut savoir si l’on fait affaire à un Ephemerellidae ou non.

Fait intéressant, les naïades de cette famille ont développé un mécanisme de défense particulier : face au danger, elles courbent le bout de leur abdomen de sorte que leurs « queues » (deux cerques entourant un filament médian) soient portées vers l’avant. Cette posture rappelle celle d’un scorpion. Si l’ennemi ne rebrousse pas chemin, la naïade tentera de le harponner de quelques coups secs. Ce mécanisme explique sans doute certaines de mes observations : j’avais en effet remarqué que les naïades d’éphémères capturées tendaient à « hocher » le bout de leur abdomen vers l’avant. Elles me disaient peut-être qu’elles n’appréciaient pas vraiment faire l’objet d’une petite animation scientifique!

On peut compter à rebours (du bout de l’abdomen vers le thorax) le nombre de segments de l’abdomen, puis vérifier où se situent les branchies pour s’aider dans l’identification de ce groupe
On peut compter à rebours (du bout de l’abdomen vers le thorax) le nombre de segments de l’abdomen, puis vérifier où se situent les branchies pour s’aider dans l’identification de ce groupe

Cette famille d’éphémères a été identifiée comme étant plutôt sensible à la pollution. Elle comprend des espèces dont le comportement alimentaire varie entre ramasseur-collecteur (recueillent des particules diverses comme des détritus, algues et résidus d’origine animale), brouteur (raclent les algues sur les roches) et, dans une moindre mesure, déchiqueteur-détritivore (déchiquètent les feuilles mortes et autres détritus qui tombent dans le cours d’eau ou encore qui y poussent). Tout cela fait en sorte qu’il n’est pas vraiment surprenant d’en trouver en grand nombre dans un petit ruisseau forestier où la pollution anthropique s’avère très faible et où des détritus de toutes sortes y sont retrouvés.

Je vous ai parlé largement des larves, mais à quoi ressemblent les adultes, me direz-vous? Quand les naïades parviennent à maturité, elles se laissent flotter vers la surface de l’eau ou rampent hors de l’eau et se fixent à un substrat. C’est ensuite que s’opère la métamorphose : l’adulte ailé émergera directement de la naïade; il s’agit à cet instant d’une subimago (un « pseudo-adulte », si l’on veut), qui aura à subir encore une autre mue avant d’atteindre son stade reproducteur final. J’avais croqué sur le vif cette seconde mue pour des éphémères Caeniidae – voir cette chronique. Pour ce qui est des Ephemerellidae, vous pouvez jeter un coup d’œil à ce lien sur Bug Guide où plusieurs photos présentent des adultes.

Les adultes portent des pièces buccales très réduites : ils ne se nourrissent point et ne survivent… que le temps de se reproduire! D’où leur nom commun « éphémères », visiblement tiré de leur très courte durée de vie adulte.

Lors de mon animation, une des étudiantes m’a demandé « à quoi ça sert, ces organismes »? Ce qu’il faut savoir, c’est que les éphémères – tant les naïades que les adultes – constituent un maillon important des chaînes alimentaires aquatiques et terrestres. Les naïades nourrissent une vaste palette d’invertébrés aquatiques prédateurs et de poissons. Les adultes, quant à eux, nourrissent aussi plusieurs poissons, de même que des oiseaux et autres prédateurs terrestres (notamment les araignées). En revanche, les naïades se nourrissent d’algues et de détritus variables et contribuent à la décomposition et au « nettoyage » des milieux aquatiques. En outre, elles sont essentielles au bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques, rien de moins!

 

Vidéo 1. On voit bien les branchies en mouvement le long des flancs de cet Ephemerellidae.

 

Vidéo 2. Quelques Ephemerellidae collectés avec les étudiantes. Deux larves de tipules sont aussi observées (une foncée, immobile au milieu de l’écran et une seconde, plus pâle, qui arrive en rampant sur la droite).

 

Vidéo 3. Deux naïades qui se meuvent sous le stéréomicroscope. On voit également le montage utilisé – stéréomicroscope et écran – en deuxième partie de vidéo.

 

Pour en savoir plus

  • Bug Guide. Family Ephemerellidae – Spiny Crawler Mayflies. https://bugguide.net/node/view/13696
  • Hauer, F.R., et G.A. Lamberti. 2007. Methods in stream ecology. 877 p.
  • Merritt, R.W. et K.W. Cummins. 1996. Aquatic insects of North America. 862 p.
  • Moisan, J. 2010. Guide d’identification des principaux macroinvertébrés benthiques d’eau douce du Québec, 2010 – Surveillance volontaire des cours d’eau peu profonds. 82 p. Disponible en ligne : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/eco_aqua/macroinvertebre/guide.pdf
  • Thorp, J.H., et A.P. Covich. 2001. Ecology and Classification of North American Freshwater Invertebrates. 1056 p.
  • Voshell, J.R. 2002. A guide to common freshwater invertebrates of North America. 442 p.
  • Wikipedia. Ephemerellidae. https://en.wikipedia.org/wiki/Ephemerellidae

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