Marcher à cent pattes

Marcher à quatre pattes, nous avons tous déjà fait cela. Bien que beaucoup d’invertébrés, de leur côté, se traînent sur six pattes (les insectes), plusieurs portent un plus grand nombre de ces très pratiques appendices.

C’est le cas des individus appartenant au grand groupe (super-classe) des myriapodes (lire myriade de pattes!), que l’on tend à appeler communément des « mille-pattes ». Or, ce groupe se compose non seulement des mille-pattes en tant que tels (classe Diplopoda), mais comprend aussi des « cent-pattes » (classe Chilopoda).

Chilopode_Lithobiomorpha
Chilopode de l’ordre Lithobiomorpha (ordre communément observé), rescapé de ma piscine

C’est de cette deuxième classe que je veux vous entretenir! Il s’agit par ailleurs de l’invertébré-mystère de la semaine dernière. Aviez-vous deviné qu’il s’agissait d’un cent-pattes?

Première question qui vous vient sans doute à l’esprit : les chilopodes possèdent-ils bel et bien cent pattes? En fait, les centipèdes adultes retrouvés en Amérique du Nord peuvent compter de 15 à plus de 50 paires de pattes (selon les ouvrages consultés, certaines espèces peuvent dépasser largement la centaine de pattes pour atteindre quelque 350 pattes). Ce qui les distingue des mille-pattes, c’est le nombre de pattes observées par segment. Les centipèdes ne possèdent qu’une seule paire de pattes par segment, alors que les millipèdes en ont deux. De plus, les premiers présentent une forme aplatie. Les millipèdes, en revanche, sont plutôt cylindriques.

Autre différence entre ces deux classes : la dernière paire de pattes des chilopodes est plus longue et donne l’impression qu’elle traîne à l’arrière du corps. Elle ne sert pas à la locomotion, mais plutôt, selon l’espèce, à maîtriser des proies, à projeter des matériaux gluants à des prédateurs ou encore en guise de « pinces » aiguisées pour se défendre!

Myriapodes
Chilopode (à droite) et diplopode (à gauche) qui étaient cachés sous la litière de feuille du printemps
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Ces appendices (vue ventrale) sont des pattes modifiées qui injectent du venin!

Aussi, pour ceux qui ont participé à la devinette de la semaine dernière, à quoi peuvent bien servir les drôles d’appendices que l’on retrouve à l’avant de la tête des chilopodes? Il s’agit en fait d’une paire de pattes modifiées qui servent à… injecter du venin dans des proies! On les appelle « forcipules ». Plus précisément, ce sont des glandes, situées à la base de ces pattes, qui produisent du venin. Ce dernier trouve son chemin jusqu’aux « griffes », qui sont utilisées pour faire pénétrer le venin dans les tissus des proies! Vous aurez donc compris que les chilopodes sont de voraces prédateurs! Ils se nourrissent habituellement d’autres invertébrés, quoique les espèces de plus grande taille puissent également s’attaquer à de petits rongeurs, reptiles et oiseaux. Dans les régions plus au sud de l’Amérique du Nord et en région tropicale, on retrouve des chilopodes géants (16-17 centimètres) dont le venin est assez puissant pour causer de fâcheuses réactions chez les humains (enflure, douleur pouvant durer plusieurs heures, fièvre et vomissements, selon les individus). Doigts curieux s’abstenir!

Ici, au Québec, vous n’avez pas à vous inquiéter, mais devez être prudents si vous souffrez d’allergies aux piqûres d’abeilles. À ce qu’il semble, vous seriez davantage susceptibles de présenter une réaction si vous êtes mordus. Par ailleurs, bien que les centipèdes puissent techniquement nous mordre, ils le font très rarement et cherchent d’abord à fuir. Finalement, il semblerait que les petites espèces de centipèdes ne sont pas assez puissantes pour rompre la peau en mordant. Pour ma part, j’en ai manipulé à plusieurs reprises (espèces québécoises) et je ne me suis pas fait mordre jusqu’à maintenant!

Les centipèdes sont des chasseurs de nuit et vont préférer les lieux sombres et humides. En plein jour, on peut donc les retrouver sous des roches et des troncs, ou encore sous la litière de feuilles. C’est d’ailleurs une joie pour moi de nettoyer mes plates-bandes au printemps. Lorsque je soulève l’épaisse couche de feuilles (j’ai un bois dans ma cour!), j’y observe notamment beaucoup de chilopodes qui ont vite fait de se sauver et de se cacher dans un interstice à proximité. Il faut dire qu’ils sont des champions coureurs et se défilent très rapidement! Plusieurs se cachent également dans mon compost, dans doute à l’affut de proies.

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Chilopode de l’ordre Lithobiomorpha, autre prise de vue

Comme ils affectionnent les lieux humides, ils peuvent parfois se retrouver dans nos habitations, en particulier dans nos sous-sols. Bien que cela ne soit pas nécessairement agréable, ils ne constituent pas une menace réelle. Si vous bouchez les trous par lesquels ils peuvent s’infiltrer et enrayez les sources d’humidité (ex. : une infiltration d’eau dans votre demeure) et de nourriture (autres insectes, qui eux, sont généralement nuisibles!), le milieu ne les intéressera guère.

Une sorte de chilopode qui peut s’infiltrer dans nos demeures et qui, je dois l’avouer, est fort impressionnant en apparence est la scutigère. Vous verrez des photos de cet individu en suivant ce lien sur le site de « Espace pour la vie ». Malgré son allure digne d’un film d’Indiana Jones (vous vous rappelez sans doute la caverne tapissée de gros invertébrés effrayants – voir cette séquence sur YouTube), la scutigère est un invertébré bénéfique!

Je termine avec un fait intéressant en cette semaine de la Saint-Valentin : la reproduction chez les chilopodes n’implique pas de copulation. Plutôt, lorsque vient le temps de se reproduire, les mâles chilopodes présentent leur spermatophore (un « paquet » de sperme, si l’on veut) en guise de cadeau aux femelles. Elles peuvent ensuite décider de prendre ce petit cadeau afin de se féconder. Mesdames, espérons que ce ne soit pas le genre de cadeau que nos conjoints comptent nous offrir pour la Saint-Valentin!

 

Vidéo : Chilopode (ordre Lithobiomorpha) rescapé de ma piscine et se faisant sécher. Habituellement, ils courent vite et se laissent peu prendre en photo. Pensez à mettre la vidéo en haute résolution pour une meilleure qualité!

 

Pour en savoir plus

Il y a de la vie dans mes plates-bandes!

L’été approche à grands pas. Comme moi, vous avez sans doute déjà commencé à « jouer » dans vos plates-bandes. Lorsque vous vous êtes affairés à les nettoyer et que vous avez enlevé la (parfois imposante) couche de feuille automnale laissée en guise de protection, avez-vous remarqué la vaste quantité d’invertébrés qui prenait refuge sous ce couvert feuillu?

Millipède
Millipède
Centipède
Centipède

Il s’agit en grande partie de décomposeurs. Ce sont des invertébrés qui se nourrissent de matière en décomposition et qui passent la majorité de leur vie cachés sous la litière, les souches de bois ou dans d’autres cachettes sombres et humides. Vous en avez d’ailleurs sûrement déjà vu en déplaçant des panneaux, briques ou roches qui étaient restés longtemps au sol.

De nombreuses espèces de décomposeurs habitent dans nos plates-bandes. Ces organismes jouent un rôle considérable dans les écosystèmes terrestres, puisqu’ils contribuent à décomposer la matière organique et l’intégrer au sol. Sans eux, nos sols seraient appauvris et la matière organique ne cesserait de s’accumuler. Dans le cadre de la présente chronique, je vais vous parler plus particulièrement de trois groupes de décomposeurs, parmi les plus connus : les myriapodes, les cloportes et les vers de terre.

Le terme « myriapode » signifie « une myriade de pattes ». Ce sont, vous l’aurez deviné, ce qu’on appelle communément des mille-pattes! Ce groupe comprend les centipèdes et les millipèdes. Les centipèdes ne possèdent qu’une paire de pattes par segment thoracique, alors que les millipèdes en possèdent deux. Cela peut expliquer la différence dans le nom (cent-pattes ou mille-pattes), bien que, en réalité, aucun des deux groupes ne possède jusqu’à mille pattes. Les millipèdes ont un aspect rond et compact et on les retrouve souvent immobiles, roulés en boule. Les espèces les plus communes possèdent entre 36 et 400 pattes. Ce sont essentiellement des décomposeurs. En revanche, les centipèdes, bien qu’ils se cachent sous la litière, sont plutôt des prédateurs. Leur alimentation se compose de petits invertébrés, incluant diverses larves qui se nourrissent de bois mort. Ils ont une forme davantage aplatie et ceux de nos régions présentent une teinte plus vive (rougeâtre). Ils sont capables d’immobiliser leurs victimes grâce à des appendices venimeux situés à l’avant du corps. D’ailleurs, certains centipèdes géants retrouvés dans les tropiques peuvent constituer un danger pour l’être humain, justement à cause de cette caractéristique. Les centipèdes possèdent, tout comme les millipèdes, un nombre fort variable de pattes, allant de 20 à 300 pattes.

Une autre espèce que vous connaissez sûrement est le cloporte. Le cloporte fait partie de l’ordre des isopodes. Il s’agit, croyez-le ou non, d’un crustacé – comme les crevettes et les écrevisses! Il est reconnaissable par sa forme ronde, sa robe sobre dans les teintes de gris-brun, ainsi que par un assez grand nombre de pattes. Si vous n’avez pas peur de les manipuler, vous pourrez d’ailleurs observer que les cloportes possèdent douze pattes. Ils sont inoffensifs et constituent une espèce bénéfique, puisqu’ils contribuent eux aussi à la dégradation et au recyclage de la matière organique laissée au sol. Fait intéressant, certaines espèces de cloportes sont sensibles à la pollution et sont ainsi utilisées en tant qu’indicatrices de la qualité des sols dans le cadre d’études d’impacts environnementaux.

Ver terre
Ver de terre
Cloporte
Cloporte

On retrouve finalement les vers de terre (lombrics). Saviez-vous que cet organisme, bien connu de tous, a en fait été introduit d’Europe? En fait, la quasi-totalité des espèces de nos régions sont des espèces introduites! Difficile à croire, compte tenu de leur omniprésence, mais aussi de leur rôle crucial dans la fertilisation naturelle des sols. En effet, le ver de terre ingurgite une vaste gamme d’aliments – généralement de la matière en décomposition, mais aussi des végétaux et des petits animaux – pour en extirper les éléments nutritifs essentiels à sa croissance. Il excrète ensuite les éléments non utilisés, qui incluent des agrégats de matière organique riche en sucres et en nutriments. Ces éléments contribuent à enrichir les sols et augmenter leur fertilité. De plus, les vers brassent incessamment la terre en se déplaçant et contribuent ainsi à mélanger les différentes couches de sol. Cela a pour effet de disperser les nutriments dans le sol, mais également d’aérer ce dernier. Sans les vers, nos sols seraient donc nettement plus pauvres et beaucoup moins fertiles. Si vous pouvez jardiner ou faire pousser des fleurs sans trop de difficulté, vous pouvez en remercier les vers de terre!

Tout comme les cloportes, les vers de terre sont utilisés comme indicateurs de la pollution des sols. Ces derniers sont considérés comme de bons indicateurs de plusieurs types de polluants ou de contaminants. Des études démontrent notamment que la densité de vers de terre est affectée par l’agriculture intensive et que, en particulier, leur cycle de vie serait altéré par l’utilisation des pesticides. Or, compte tenu de leur apport considérable dans le maintien d’un sol riche, on se retrouve de toute évidence devant un cercle vicieux. Plus on ajoute d’engrais et de pesticides pour améliorer les cultures, moins l’on a de vers de terres. Moins la densité de vers de terre est élevée, plus on a besoin d’ajouter des suppléments…

En conclusion, une myriade d’invertébrés se cache dans nos plates-bandes. Je n’ai qu’effleuré le sujet dans la chronique de cette semaine. Toutefois, on comprend rapidement qu’ils sont nombreux à nous rendre des services écologiques d’une grande valeur en mélangeant et aérant la terre, ainsi qu’en y intégrant des nutriments essentiels à la croissance des plantes. Sans leur présence, nous aurions beaucoup plus de travail à faire! Merci les amis jardiniers!

 

Vidéo 1: Ce qui se passe lorsque l’on soulève une tuile de béton.

 

Vidéo 2: Course de millipèdes! Sur qui misez-vous?

 

Pour en savoir plus