Un ver à plat!

Aviez-vous deviné quel invertébré se cachait sur la photo diffusée lors de la chronique devinette du 26 juillet dernier? Si vous avez donné votre langue au chat, c’est tout à fait normal. Il s’agit en fait d’un membre appartenant à un groupe d’invertébrés peu connu par la population en général : un ver plat, aussi nommé ver planaire ou turbellarié (Embranchement Plathelminthes; Classe Turbellaria).

Turbellaria
L’étrange ver plat (environ 10 mm)

Les vers plats retrouvés en eaux douces se déplacent librement, contrairement à la plupart des autres membres de cet embranchement qui constituent des parasites internes de faible intérêt pour les limnologistes. Cela dit, sur les quelque 200 espèces de planaires d’eau douce d’Amérique du Nord, plus de la moitié mesurent moins de 1 mm et ne se voient pas à l’œil nu. Certains individus (appartenant typiquement à l’ordre Tricladida) peuvent mesurer autant que 30 mm, mais les espèces les plus communes feraient entre 5 à 20 mm. D’ailleurs, au fil de mes lectures, je réalise que les renseignements que je collige sur les vers plats tendent à faire davantage référence aux membres d’un ordre en particulier, soit celui le plus souvent observé : Tricladida (les triclades). Ce n’était pas nécessairement clairement indiqué dans toutes mes sources et c’est sur le tard que j’ai fait cette découverte. Vous en serez donc avertis pour ce qui suit ci-dessous!

Les spécimens d’eau douce se reconnaissent facilement, une fois que vous les avez aperçus (si vous ne les prenez pas pour des débris, bien sûr)! Ils possèdent un corps allongé ressemblant à celui d’un ver, mais qui s’avère non segmenté et lisse, contrairement aux sangsues et aux vers aquatiques (oligochètes). Leur corps plat permet aussi de les distinguer des autres invertébrés non segmentés comme les nématodes et nématomorphes ou encore les némertes (voir notamment Moisan 2010).

Devinette_2019-07-26
Sur cette photo, on pourrait le prendre pour un débris

Autre critère à surveiller : le corps se resserre vers la tête, faisant en sorte que cette dernière ressemble un peu à une pointe de flèche. On y voit fréquemment deux petits yeux situés sur le dessus. Par contre, selon la position prise par l’individu, on ne peut pas toujours bien voir ces éléments (comme en témoigne la vidéo 2 ci-dessous où la tête se distingue moins bien). La face dorsale est couramment mouchetée ou lignée dans les tons de gris, brun ou noir, question de se fondre au milieu, alors que la face ventrale est généralement claire et unie.

Fait particulier, les vers plats possèdent souvent un orifice ventral d’où sort le pharynx. C’est comme si un tube sortait du centre de l’abdomen de ces organismes, tel un cordon ombilical. Cet organe sert tant pour l’ingestion de nourriture que pour l’évacuation de cette dernière; il joue le rôle de bouche et d’anus simultanément (oui, oui, vous avez bien lu!).

Dans ce contexte, que mangent-ils et comment le font-ils? Habituellement, les planaires s’avèrent être des prédateurs d’autres invertébrés; chez les triclades, les références consultées citent les isopodes, les oligochètes, le zooplancton, de même que plusieurs larves d’insectes (diptères, trichoptères et éphémères). Comme ils ne possèdent pas de dents ou d’enzymes digestives, ils vont souvent se positionner au-dessus d’une proie, puis utiliser leur tube digestif pour aspirer l’organisme… entier ou en morceaux (qu’il s’agisse de solides ou de fluides)! Certains peuvent sécréter des neurotoxines afin d’immobiliser leur proie et de faciliter la tâche d’ingestion. De plus, tous les vers planaires sont connus comme étant des charognards à leurs heures. Aussi, plusieurs produisent un fil ou une masse de mucus collant auquel se collent divers organismes aquatiques (bactéries, algues, protozoaires). Ils roulent ensuite le mucus en une boule qu’ils ingèrent. Enfin, quelques-uns « broutent » les algues qui poussent en périphérie des roches où ils s’abritent.

Par ailleurs, ces vers possèdent également la surprenante habileté de régénérer leurs tissus lorsqu’ils sont coupés en deux. Qui plus est, selon Wikipédia, les yeux et le cerveau peuvent être rapidement régénérés lorsque la tête de l’animal est coupée! Il semble que nos vers soient pratiquement indestructibles à cet effet!

C’est sans doute cette caractéristique qui permet aux planaires de se reproduire entre autres par scissiparité – un mécanisme qui génère des clones par la division d’un individu. Les planaires sont hermaphrodites et possèdent donc à la fois des organes mâles et femelles. Voshell (2002) précise que les vers plats ont opté pour différentes stratégies selon l’espèce, mais aussi selon les conditions environnementales. Ainsi, on peut voir certaines espèces se reproduire sexuellement ou asexuellement, notamment en fonction de la saison. Toutes les stratégies sont bonnes!

Plathelminthes_2019
Individu plus petit (environ 3 mm)

Beaucoup de membres de ce groupe sont rencontrés dans les zones peu profondes de milieux calmes et à courant faible comme les lacs, les étangs et certains cours d’eau. Bien que la plupart des individus préfèrent les eaux peu profondes, certains peuplent le fond des lacs profonds (environ 100 mètres de profondeur). La majorité des planaires se retrouvent préférentiellement sur des substrats solides comme des cailloux et des roches. De même, certaines espèces peuvent s’apercevoir sur des plantes et des détritus variés ou à la surface de sédiments plus fins. Bon nombre d’entre eux sont photosensibles. Cela signifie qu’ils tendent à fuir la lumière et à se retrouver sous des objets (roches, par exemple) en plein jour.

Les vers plats se déplacent lentement en sécrétant une fine couche de mucus sur le substrat, puis en utilisant de très petits poils couvrant leur corps pour s’y glisser. Certains taxons peuvent aussi générer des contractions allant de l’avant à l’arrière de leur corps, telles des vagues, afin de se mouvoir.

Ma chronique ne serait pas complète si je ne parlais pas de l’utilité de ces organismes dans l’étude de la santé des milieux aquatiques. Ce qu’il faut savoir, c’est que les taxons de planaires les plus communs sont généralement tolérants à la pollution, quoique cela puisse varier selon l’espèce. À cet effet, Voshell (2002) suggère qu’une abondance disproportionnée de ces invertébrés dans un milieu donné est un témoin de pollution par la matière organique ou les nutriments.

Si vous farfouillez sur Internet, vous verrez que la classe Turbellaria comprend également des vers plats d’eaux marines. Ces derniers tendent à être plus gros et sont nettement plus colorés que ceux observés en eaux douces. Par ailleurs, comme je l’ai mentionné plus tôt dans cette chronique, les descriptions retrouvées dans la littérature portaient majoritairement sur l’ordre de vers plats le plus souvent rencontré (Tricladida). Thorp et Covich (2001) couvrent cependant beaucoup plus d’individus de ce grand groupe de vers… certains n’étant pas plats du tout!

Bref, si le sujet vous intrigue davantage, vous pourrez jeter un coup d’œil aux sources citées plus bas. Bonne lecture!

Vidéo 1. Étrange vers planaire observé en 2018, accompagné de quelques mites d’eau en déplacement.

Vidéo 2. Même ver planaire vu de plus près.

Vidéo 3. Ver planaire beaucoup plus petit (environ 3 mm de long) observé à l’été 2019.

Pour en savoir plus

 

DocBébitte en bref : rencontre avec un ver gordien (Nematomorpha)

En ce début de saison estivale, je me retrouve à effectuer beaucoup plus de découvertes entomologiques que j’ai de temps pour vous les partager! J’ai donc pensé bon entrecouper mes chroniques habituelles avec de plus courtes capsules liées à l’observation de faits inusités. J’espère que vous apprécierez cette nouvelle formule après trois années et demie de DocBébitte!

J’ouvre le bal avec une observation réalisée cet après-midi même. En ce samedi ensoleillé, je me suis offert une sortie entomologique à marée basse. Cherchant nymphes de libellules et d’éphémères, j’étais loin de me douter que j’allais faire la rencontre d’un ver gordien (Nematomorpha). Ce dernier se tortillait au soleil, probablement surpris par la baisse des eaux. Je pus prendre des photographies et des vidéos de la bête, dont quelques-unes que je vous partage ci-dessous.

Je vous avais déjà décrit plus longuement ce groupe d’invertébré dans cette chronique que vous pourrez lire si le cœur vous en dit!

Dernier mot: cœurs sensibles s’abstenir! Oui, il s’agit bien de ces fameux « vers » parasites que l’on peut voir s’extirper de toute leur longueur hors d’araignées et de mantes religieuses!

Nematomorpha_Marée basse 1
Nématomorphe observé
Nematomorpha_Marée basse 2
Ma main à proximité donne une idée de sa longueur

Vidéo 1. Nématomorphe dans un bol que j’avais amené spécialement pour l’observation d’invertébrés aquatiques. Je ne me doutais pas que j’allais croiser ce type d’insecte.


Vidéo 2. Même individu que je remets à l’eau. Regardez comment il nage!

Nématomorphes : Les voleurs de corps

En tant qu’entomologiste amateur qui s’exerce à l’identification de spécimens variés que je trouve déjà morts, je dois vous avouer être hantée par une pensée : celle de voir mon spécimen mort se mettre à bouger sous la loupe de mon stéréomicroscope… et voir un organisme étranger en sortir. Cette frissonnante vision n’est pas complètement impossible. De multiples invertébrés sont susceptibles d’être parasités par d’autres, à l’instar du célèbre film « Alien ».

Un exemple bien connu est celui de l’étrange et long ver qui s’extirpe du corps d’araignées et de mantes religieuses popularisé par quelques « perturbantes » vidéos YouTube qui sont devenues littéralement virales (cliquer ici pour la vidéo sur l’araignée et ici pour celle sur la mante religieuse). Noter la taille surprenante des vers par rapport à leur hôte.

Nematomorpha
Nématomorphe capturé au printemps 2015 dans la rivière du Cap-Rouge

Dans ces deux cas, il s’agissait plus précisément d’un nématomorphe (embranchement Nematomorpha), un invertébré non-arthropode. Ce dernier est communément appelé « ver gordien », nom qui lui vient de sa propension à former des nœuds avec son corps lorsqu’il se tortille. En anglais, on l’appelle « hairworm » ou « horsehair worm », car il ressemble à un crin de cheval. À l’instar des crins, les adultes sont en effet longs et minces et arborent des couleurs variant entre le jaune et le noir. Leur diamètre se chiffre entre 0,25 et 3 mm, alors que leur longueur peut s’étaler de quelques centimètres jusqu’à un mètre!

J’ai fait la connaissance de ce groupe d’invertébrés lors de mes études en limnologie (écologie des lacs et des rivières), puisque les nématomorphes ont un cycle de vie étroitement associé aux milieux aquatiques. C’est dans le cadre d’un cours d’écologie générale que j’en vis pour la première fois. À la suggestion du professeur, nous collectâmes des criquets à différentes distances d’un point d’eau. Ensuite, nous les mettions au réfrigérateur, dans des sacs individuels. Le lendemain, nous devions compter combien de ces orthoptères étaient parasités. L’hypothèse était que les orthoptères capturés plus près du point d’eau étaient davantage infectés que les autres. Comment pouvions-nous le voir? C’est en sortant les sacs du frigo que nous obtenions notre réponse : si le criquet n’était plus seul dans son sac – soit accompagné d’un très long ver –, nous savions qu’il était parasité. Plusieurs de nos individus s’avérèrent effectivement parasités et l’expérience fut fort instructive – bien que nous ne pûmes noter de différence significative dans le taux de parasitisme selon l’endroit de capture des criquets.

Lors de mes études sur les milieux aquatiques, je n’en ai pas observé, peut-être parce que ceux-ci se confondaient facilement aux débris des rivières que j’échantillonnais, ou encore parce que je n’échantillonnais pas aux moments de l’année où ils sont plus actifs. Selon Thorp et Covich (2001), c’est au printemps ou tard en été qu’on a le plus de chances d’observer les adultes. Je tombai toutefois sur un individu lors d’une sortie éducative sur le terrain au printemps dernier en compagnie d’un jeune collègue entomologiste; c’est d’ailleurs ce dernier qui remarqua en premier le ver bougeant lentement dans le tas de débris que nous venions de collecter. Cela me permit de prendre les vidéos et les photos qui agrémentent la présente chronique.

Bien que ce soit le long ver adulte émergeant d’invertébrés qui nous fasse frémir, c’est plutôt le stade larvaire qu’il faut craindre – si l’on est un invertébré, bien sûr! Le cycle de vie des nématomorphes se caractérise par quatre stades : l’œuf, la larve préparasitique, la larve parasite et l’adulte vivant en eau libre.

Échantillonnage Cap-Rouge 2015
Milieu où le nématomorphe a été capturé

La femelle dépose ses œufs en milieu aquatique, un à la fois ou en plus grand nombre, formant des filaments gélatineux. Les larves préparasitiques qui en sortent peuvent adopter – selon les espèces – différentes stratégies. Certaines se développent immédiatement dans l’hôte qui les consomme en milieu aquatique. D’autres, qui vivent dans des mares temporaires, vont s’associer aux détritus présents dans l’environnement et survivre à l’assèchement de leur milieu de sorte à être ingérées par des arthropodes terrestres détritivores lorsque l’eau se sera retirée. Toutefois, la grande majorité des espèces de nématomorphes optent pour une troisième stratégie : les larves préparasitiques vont d’abord pénétrer à l’intérieur d’un premier hôte – l’hôte intermédiaire –, où elles stoppent leur développement. Elles attendent ensuite que cet hôte se fasse dévorer par un prédateur ou encore par un omnivore avant de poursuivre leur développement.

L’hôte intermédiaire comprend diverses larves d’invertébrés aquatiques comme les maringouins et les éphémères, mais inclut aussi des poissons et des têtards. Ces hôtes intermédiaires peuvent être consommés par une myriade d’invertébrés – dytiques, libellules, mantes religieuses, carabes, araignées, criquets, grillons – qui deviennent ainsi l’hôte final.

Quand le développement larvaire au sein de l’hôte final est complété, le nématomorphe qui est prêt à émerger doit le faire près d’un milieu aquatique. Comme les invertébrés parasités ne sont pas toujours d’origine aquatique, notre ver gordien doit user de stratégie afin que ces premiers aient envie d’aller s’abreuver ou « se baigner »! Que ce soit par dessiccation des tissus internes ou par un signal chimique généré par le ver parasite qui modifie le comportement de l’hôte, le ver parvient à « guider » ce dernier vers un milieu aqueux. C’est d’ailleurs ce phénomène que nous tentions d’étudier en capturant des criquets à diverses distances d’un point d’eau : nous présumions que les criquets parasités étaient « programmés » pour vouloir se rapprocher de tout milieu aquatique. Intrigant, n’est-ce pas?

Cela dit, une fois dans l’eau, le ver adulte n’a qu’à s’extirper de son hôte afin de compléter son cycle de vie. L’adulte ne se nourrit pas et, comme bien des adultes invertébrés, s’affaire essentiellement à la reproduction.

Si les nématomorphes adultes ont besoin de milieux aquatiques pour poursuivre leur développement, pourquoi les voit-on émerger d’invertébrés terrestres dans les vidéos YouTube susmentionnées? Le fait que les hôtes finaux aient été tués dans les vidéos n’est pas étranger à cette observation : les vers ne font que s’expulser de leur hôte qui, une fois mort, ne leur est plus d’aucune utilité!

En outre, vous aurez compris que ces étonnantes créatures ne sont pas un danger pour les humains : les larves ont besoin d’invertébrés pour survivre et les adultes ne se nourrissent point. Néanmoins, quelques cas de vers gordiens présents dans les excréments ou les vomissures d’humains ont été recensés : il s’agirait probablement de circonstances accidentelles, comme le cas d’une Coréenne qui se serait nourrie de criquets infectés, libérant ainsi dans son estomac les adultes qui n’ont plus leur hôte. Si vous êtes inquiets, je vous suggère de lire cet intéressant article qui aura tôt fait de vous rassurer.

Malgré ces probabilités extrêmement faibles, il n’en demeure pas moins que la capacité de ces bêtes à parasiter, ainsi qu’à altérer le comportement d’un hôte est fascinante et touche notre imagination : celle-ci n’est-elle pas d’ailleurs source d’inspiration pour bien des films d’horreur? Dans le monde des invertébrés, la réalité rencontre visiblement la fiction!

Vidéo 1. Nématomorphe capturé dans la rivière du Cap-Rouge (Québec).


Vidéo 2. Même nématomorphe.

Pour en savoir plus

Reconnaître les macroinvertébrés aquatiques d’eau douce – Partie 1

Hirudinea_micro
Vue dorsale d’une sangsue en phase d’étirement; on voit les yeux à droite
Gastropoda marée basse
Escargot rampant à marée basse

J’ai eu le plaisir, lors du dernier congrès de l’Association des entomologistes amateurs du Québec (AEAQ) tenu à Waterville, d’animer un atelier d’introduction aux macroinvertébrés d’eau douce. Il ne m’en fallait pas plus pour juger bon de vous faire part de quelques trucs et astuces qui s’avèreront utiles pour identifier des individus pris en clichés ou capturés (selon vos champs d’intérêts, bien sûr!). Étant donné que les invertébrés d’eau douce (lacs, rivières, étangs) sont relativement méconnus, j’espère que ce premier contact vous sera instructif!

Avant de démarrer, je souhaite souligner que, dans la présente chronique, je n’aborderai que les principales catégories d’invertébrés qui se voient à l’œil nu (dits « macroinvertébrés »). Il y aurait matière à écrire beaucoup plus pour tout ce qui est approximativement de la taille d’un grain de sable en descendant, ce que je ne ferai pas dans le présent cas! Par ailleurs, je ne serai pas complètement exhaustive et miserai sur les invertébrés les plus communément observés dans nos lacs et rivières du Québec méridional – avec un petit penchant pour les rivières compte tenu de mon expérience passée à cet effet.

En un premier temps, il importe de mentionner que l’on retrouve trois grandes catégories d’invertébrés dans les milieux aquatiques d’eau douce: 1) les invertébrés non-arthropodes, 2) les arthropodes non-insectes et 3) les insectes proprement dits.

Les non-arthropodes se distinguent des arthropodes par les caractéristiques suivantes : ils ne possèdent ni pattes, ni capsule céphalique (tête) munie de rostre, mandibules ou crochets – à noter cependant que cette dernière peut parfois être dissimulée chez certains insectes. C’est l’absence combinée de ces deux critères qui importent, certaines larves d’insectes n’ayant pas de pattes, mais une tête développée – j’en parlerai ultérieurement.

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Critères d’identification des invertébrés d’eau douce, adapté de Voshell (2002)

Le groupe des non-arthropodes inclut des organismes au corps mou et allongé comme les sangsues, les vers de terre aquatiques, les vers ronds (Nématodes et nématomorphes) et les vers plats. Il comprend également des mollusques, organismes au corps mou mais dotés d’une carapace, comme les moules et les escargots. Les sangsues et les vers de terre sont des annélides (Embranchement Annelida). Cela signifie que leur corps est couvert de petits sillons, tels des anneaux. C’est une bonne façon de les distinguer d’autres invertébrés qui ont une forme de ver, comme les nématodes (Nematoda) et les nématomorphes (Nematomorpha), mais qui ne possèdent pas d’anneaux. Les sangsues possèdent de petits yeux sur les premiers segments situés à l’avant (vue dorsale), ainsi que deux disques localisés à chaque extrémité et destinés à la « succion » (vue ventrale) qui leur permettent de demeurer accrochées au substrat (ou à une proie). Les vers de terre aquatiques (sous-classe Oligochaeta), quant à eux, ne présentent pas ces caractéristiques et sont relativement uniformes, ce qui permet de les différencier des sangsues. Selon l’espèce en cause, ils peuvent être aussi fins qu’un cheveu ou encore atteindre la taille des vers de terre « terrestres » que nous connaissons bien.

Nematomorpha
Nématomorphe recueilli dans la rivière du Cap-Rouge, Québec

Fait intéressant, vous connaissez sans doute les nématomorphes (aussi nommés vers gordiens) à cause de leur propension à parasiter des invertébrés… et à s’en extirper si l’invertébré en question est tué. Vous avez probablement vu sur Internet, comme moi, quelques vidéos de très longs « vers » qui sortent du corps d’invertébrés, un peu à l’instar du monstre « Alien » qui sort du corps d’un humain (cette vidéo, par exemple, qui est devenue très populaire sur YouTube). Il s’agissait de nématomorphes!

Les vers plats, de leur côté, font partie d’un tout autre embranchement : Platyhelminthes (Classe : Turbellaria). Leur corps n’est pas segmenté et a une forme plutôt aplatie (voir cette image). De plus, on peut apercevoir deux yeux à l’avant du corps. Les vers plats d’eau douce sont largement méconnus, notamment parce qu’ils sont généralement petits et qu’ils se dissimulent très bien dans l’environnement. Ils ressemblent à de petits débris mous, arborant des couleurs sobres comme le brun, le gris et le noir. J’en ai rarement vu en rivières, ceux-ci affectionnant davantage les milieux à courant lent selon Voshell (2002).

La deuxième catégorie d’invertébrés d’eau douce dont je veux vous entretenir porte sur les arthropodes non-insectes. Comme mentionné plus haut, les arthropodes sont habituellement dotés d’une capsule céphalique assez développée (ou minimalement d’appendices buccaux visibles comme des crochets) et, la plupart du temps, de pattes segmentées. Les arthropodes non-insectes sont munis de 4 à 7 paires de pattes, alors que les insectes en possèdent 3 ou aucune.

Décapoda
Les écrevisses n’ont pas besoin de description!
Amphipoda Port-au-Saumon
Exemple d’amphipode (celui-ci a toutefois été collecté en milieu marin)

Ils comprennent tout d’abord les mites d’eau (photo), membres de la classe des arachnides. Ces dernières, généralement appelées Hydracarina ou Hydrachnidia, ont huit pattes et sont de petite taille – presque microscopique (1 à 3 millimètres). Elles sont abondantes en eaux douces et j’en ai souvent retrouvé dans mes échantillons pris en rivières au Québec. Elles sont faciles à reconnaître, puisqu’elles ressemblent à de petits acariens (elles font d’ailleurs partie de l’ordre Acariformes).

Les arthropodes non-insectes incluent aussi les écrevisses, les amphipodes – de petites crevettes d’eau douce – et les asellidés, des isopodes aquatiques apparentés aux cloportes. Il s’agit dans les trois cas de crustacés (sous-embranchement Crustacea). Ils se distinguent aisément : les écrevisses sont munies de pinces et ressemblent à de petits homards. Ils ont cinq paires de pattes au total. Les asellidés (Asellidae) sont aplatis sur le plan horizontal et portent sept paires de pattes (voir cette photo). Les amphipodes sont couramment appelés gammares bien que ce ne soient en réalité pas tous les individus observés en eaux douces qui fassent partie de la famille Gammaridae. Ceux-ci possèdent également sept paires de pattes comme les isopodes, mais ils sont aplatis sur le plan latéral. D’autres espèces de crustacés sont retrouvées en eaux douces, mais on les observe habituellement surtout en lacs (quoique présentes dans les rivières élargies ou dans les tronçons situés en aval de barrages), alors que j’ai fréquemment collecté des écrevisses, des gammares et des asellidés dans les rivières du Québec. Ces autres groupes pourront sans doute faire l’objet de futures chroniques!

Pour ce qui est de la troisième grande catégorie, les arthropodes qui sont des insectes, celle-ci comprend de nombreux ordres. J’aborderai les principaux ordres d’insectes retrouvés en eaux douces québécoises dans le cadre de la prochaine chronique.

Bonne identification d’ici là!

 

Vidéo 1. Sangsues sous une roche soulevée à marée basse (Cap-Rouge, Québec)

 

Vidéo 2. Ver gordien (Nématomorphe) recueilli dans la rivière du Cap-Rouge, Québec

 

Pour en savoir plus

Manger la pelouse par les racines : les fameux vers blancs

Avec la saison estivale qui est de retour, nous sommes nombreux à jouer dans la terre, creusant par-ci, creusant par-là, afin de se concocter un magnifique potager ou encore de jolies plates-bandes fleuries.

Hanneton larve
Larve de hanneton (surnommé « ver blanc »)

C’est en creusant ces trous que nous tombons souvent sur un insecte qui ne fait pas le plus grand plaisir des jardiniers : le ver blanc. Mais détrompez-vous! Il ne s’agit pas d’un ver proprement dit (qui réfère en fait à un groupe d’invertébrés qui ne possèdent pas de pattes), mais plutôt d’une larve de coléoptère, le hanneton.

Plusieurs connaissent bien l’adulte, appelé communément « barbeau ». Il s’agit d’un coléoptère de bonne taille et de couleur brune plus ou moins foncée selon l’espèce. L’adulte pond ses œufs dans la terre, au sol. Les larves vont passer une année complète dans le sol, à se nourrir notamment des racines de gazon ou de jeunes végétaux récemment plantés. Les dommages sur la pelouse peuvent être assez importants, se traduisant par des plaques jaunes de gazon qui s’arrachent facilement.

Hanneton adulte
Hanneton adulte

Bien sûr, si vous souhaitez avoir une pelouse parfaite, vous n’aimerez pas ces petits intrus! Il existe plusieurs méthodes de lutte aux vers blancs. Naturellement, je ne vous encourage absolument pas à utiliser des pesticides, puisque ceux-ci peuvent avoir des répercussions indésirables sur d’autres espèces d’invertébrés et d’animaux (incluant des oiseaux et des petits mammifères).

Un premier truc suggéré par le livre Solutions écologiques en horticulture est de garder la pelouse longue et dense afin de limiter les espaces de ponte. Ils ne disent pas comment procéder et, bien sûr, je déconseille d’utiliser des engrais pour enrichir votre pelouse. Pensez plutôt à des solutions écologiques, telles que d’acheter des mélanges de graines pour la pelouse incluant du trèfle. La couverture sera non seulement bonne, mais le trèfle survivra probablement mieux aux attaques des larves de hanneton!

Autre astuce : éteindre les lumières extérieures au moment de la ponte (en juin et juillet). Les hannetons adultes, qui sont actifs la nuit, sont attirés par ces dernières.

De plus, plusieurs prédateurs sont friands de larves de hanneton. Certains, comme les moufettes ou les ratons laveurs, font parfois davantage de dommages en creusant que les hannetons eux-mêmes. Toutefois, vous pouvez attirer des oiseaux qui feront moins de dommages, mais qui seront tout autant intéressés par cette délicieuse collation!

Pélécinide
Pélécinide, un parasite des larves de hanneton

Certains insectes constituent également des parasites des larves de hanneton, comme par exemple les pélécinides. Ce sont des hyménoptères (sortes de guêpes). Les femelles sont munies d’un très long abdomen dont elles se servent pour pondre leurs œufs sur les larves de hanneton enfouies dans le sol. On retrouve aussi des nématodes, qui vont s’attaquer aux larves et les éliminer. Semble-t-il qu’il est possible de s’en procurer (vendus en vrac sous forme de poudre!) dans certains centres de jardinage.

Pour terminer, le meilleur conseil que je puisse vous donner, c’est de mettre votre orgueil de côté et d’accepter d’avoir une pelouse imparfaite, mais écologique et saine!

 

Pour en savoir plus