Kossé ça cette grosse bébitte-là ?! Le léthocère d’Amérique !

La photo qui m’a donné envie de vous parler du léthocère d’Amérique.

Le temps chaud ne fait que commencer à se pointer le bout du nez, mais les réseaux sociaux québécois débordent déjà de photos d’un énorme insecte qui impressionne.

Lorsque l’une de mes amies d’adolescence a elle-même publié une photo de cet insecte, accompagnée du texte « C’est quoi cette sorte de bébitte ?? », j’ai sauté sur l’occasion pour démystifier l’arthropode en question.

Qui est-ce ?

Il s’agit d’un léthocère d’Amérique (Lethocerus americanus), aussi appelé punaise d’eau géante.

Et avec raison !

Le léthocère peut atteindre une longueur de 55 à 65 mm, faisant de lui l’insecte québécois possédant le plus gros corps.

Vidéo complémentaire : les punaises d’eau géantes !

Qui dit gros insecte dit… gros appétit ! Ainsi, notre punaise d’eau géante est un prédateur particulièrement vorace. Elle se nourrit non seulement d’invertébrés aquatiques, mais aussi de vertébrés comme des têtards et des petits poissons. Tout ce qui est de taille à être maîtrisé figure au menu.

Le léthocère d’Amérique est gros. Ici dans la main de Ludovic Leclerc, qui l’a capturé.

Pour se nourrir, le léthocère saisit sa proie avec ses impressionnantes pattes ravisseuses. Ensuite, à l’aide de son rostre, il injecte des enzymes digestives, qui ont tôt fait de liquéfier les tissus internes de ses proies. Il ne lui reste qu’à siroter ce « savoureux » breuvage !

Outre sa taille, pourquoi le léthocère fait-il tant l’objet de clichés sur les réseaux sociaux ? C’est que cette bête est attirée par nos lumières, alors qu’elle se déplace pendant la nuit. On la retrouve donc souvent près de nos demeures, voire dans nos piscines.

Le rostre d’un léthocère (à gauche) contre les mandibules d’un coléoptère (à droite).

Un œil moins averti pourrait confondre les punaises d’eau avec des dytiques, d’autres insectes aquatiques prédateurs, au corps plutôt ovale, et dont les plus gros individus atteignent 40 mm. Toutefois, les punaises d’eau géantes font partie de la famille des hémiptères (punaises et cie), alors que les dytiques sont des coléoptères. Deux critères propres à ces familles peuvent donc nous aider à les distinguer : les pièces buccales et les ailes.

Les pièces buccales des hémiptères ressemblent à des pailles, que l’on appelle rostre. En revanche, les coléoptères sont munis de mandibules, des sortes de « dents » qui se referment l’une contre l’autre (voir cette photo des pièces buccales d’un dytique). Pour ce qui est des ailes, celles des hémiptères, comme le nom de cette famille le suggère, ne sont pas complètes : les ailes antérieures sont partiellement rigides et recouvrent le dos en se croisant. Les coléoptères, de leur côté, ont des ailes antérieures rigides qui recouvrent entièrement les ailes membraneuses postérieures de l’abdomen.

Une nèpe (à gauche) et un léthocère (à droite). Notez les longs tubes respiratoires au bout de l’abdomen de la nèpe.

Si ces critères ne suffisent pas, jetez un coup d’œil au bout de l’abdomen : une punaise d’eau géante adulte présente deux appendices courts à cet endroit (voir la vidéo qui accompagne la présente chronique). Ce n’est pas le cas des dytiques. Ces appendices font partie d’un tube respiratoire, qui permet aux punaises de s’alimenter en oxygène, même lorsqu’elles sont sous l’eau. C’est ce qui explique pourquoi ces dernières se tiennent très souvent près de la surface de l’eau, l’extrémité de leur abdomen brisant légèrement la surface. Elles respirent… un peu comme ce que nous faisons à l’aide d’un tuba ! Fait à noter : ces appendices sont rétractables. Par conséquent, leur présence confirme qu’il s’agit d’une punaise d’eau, mais leur absence fait que l’on doit vérifier la présence des autres critères susmentionnés. Autre point : si ces organes sont longs, il pourrait s’agir d’une nèpe, un autre hémiptère. À ne pas confondre !

Enfin, nous avons deux genres de punaises d’eau géantes au Québec, dont l’une est plus petite que le léthocère. Il s’agit du genre Belostoma, au sujet duquel j’ai écrit cette chronique que je vous invite à lire !

Le léthocère d’Amérique (à gauche) et un plus petit membre de la famille (genre Belostoma), à droite.

Mythes ou vérités

Une des raisons qui m’a poussée à écrire le présent billet, c’est la volonté de mettre un peu d’ordre dans la vaste panoplie d’affirmations que l’on peut lire sur les réseaux sociaux, lorsque quelqu’un publie une photo de léthocère d’Amérique. Sont-elles vraies ou exagérées ?

Lançons-nous !

1. Les léthocères sont indésirables.

Un article qui a été republié récemment m’a particulièrement fait réagir. Sur cette page de Météomédia, on dit qu’il est impératif de se débarrasser du léthocère, d’ailleurs qualifié « d’aspect peu ragoûtant », s’il est retrouvé dans notre bassin d’eau. Le terme me semblait un peu trop alarmiste.

Qu’en est-il ?

Premièrement, à cause de leur appétit vorace, les léthocères constituent-ils une menace dans un étang ?

La réponse semble être… oui, mais !

Selon Voshell (2002), on aurait recensé des cas où des individus ont été vus se nourrissant de poissons de 8 cm (truite) et 9 cm (jeune brochet maillé). Il conclut en outre que les punaises d’eau géantes peuvent être une menace pour les élevages de poissons. Par ailleurs, Folles Bestioles nous permet d’observer un cas où un léthocère d’Amérique, fraîchement capturé, se nourrit d’une petite barbotte.

Cependant, notre léthocère, prédateur comme il est, pourrait s’avérer utile pour manger d’autres organismes peuplant votre étang qui, eux, sont moins désirables. Tout est dans la nuance !

Deuxièmement, dans le même article, on parle de se débarrasser des léthocères, lorsque dans notre étang, pour éviter qu’ils ne s’y reproduisent et prolifèrent. Il est question d’une centaine d’œufs qui pourraient y être pondus, laissant une impression d’infestation imminente.

Encore une fois, j’apporterais un bémol.

Il est vrai que la femelle peut pondre quelque 150 œufs. Néanmoins, le léthocère d’Amérique n’est pas une espèce envahissante, mais bien indigène. De plus, les adultes sont ailés : une fois dans votre étang, ils ne sont pas pris pour y rester indéfiniment. Ils peuvent quitter d’eux-mêmes pour aller manger… ou même pondre ailleurs.

Faut-il impérativement s’en débarrasser ? Non, pas nécessairement !

2. La morsure du léthocère est redoutable.

Autre mythe : leur morsure ! On lit en effet beaucoup de commentaires sur l’incroyable morsure des punaises d’eau géantes.

Est-ce vrai ?

Selon les sources scientifiques consultées, oui, le léthocère a le potentiel de nous mordre – je dirais même de nous poinçonner – à l’aide de son rostre. Cependant, je lis dans plusieurs ouvrages que c’est normalement lorsque l’on tente de le manipuler et qu’on le perturbe qu’il va tenter de mordre. Malgré son appétit vorace, nous ne sommes pas d’intérêt pour lui !

De plus, sa morsure peut engendrer une réaction (on réagit aux sucs qu’il nous injecte), laquelle inclut de l’enflure, une sensation de brûlure ou l’apparition d’une tache brunâtre. Ne redoutant rien, Folles Bestioles nous démontre l’effet de la morsure dans cette vidéo. Chapeau pour la démonstration !

Constat des différentes sources consultées: oui, ça fait mal et, oui, une réaction est observée et peut persister jusqu’à plusieurs jours suivant l’injection.

Donc, sans être alarmiste, il est suggéré de manipuler ces insectes avec précaution.

Par ailleurs, si vous en trouvez dans vos piscines et que vous craignez qu’elles grimpent sur vous – elles veulent sans doute simplement sortir de là et vous êtes un support adéquat –, retirez-les à l’aide d’un filet et déposez-les à l’écart. Elles se sécheront les ailes et s’envoleront, comme cette punaise du genre Belostoma que j’avais observée en 2016.

Hum, cette bête a un air malin ! Elle peut mordre lorsque perturbée.

3. Le mâle léthocère porte les œufs sur son dos.

Avez-vous déjà entendu parler du fait que les punaises d’eau géantes mâles portent leur progéniture (les œufs) sur leur dos ? C’est vrai… en partie !

En fait, ce sont les genres Belostoma et Abedus (ce dernier est cependant non retrouvé au Québec) qui adoptent ce comportement. J’en parle d’ailleurs un peu plus dans la chronique associée.

En revanche, le genre Lethocerus, auquel appartient le léthocère d’Amérique, ne présente pas ce comportement. La femelle pond plutôt ses œufs sur la végétation aquatique, les roches, de même que les branches et les feuilles retrouvées près de l’eau ou sous l’eau. Néanmoins, les mâles demeurent à proximité des œufs après qu’ils aient été pondus, afin de les protéger. Ils ne transportent pas leurs rejetons sur le dos, mais ce sont tout de même de bons pères !

Une grosse « bébitte » redoutable ?

Oui, le léthocère d’Amérique est impressionnant. Sa taille et sa voracité le confirment.

Est-il redoutable et indésirable pour autant?

Bien sûr que non !

Ce prédateur indigène joue un rôle important dans les écosystèmes aquatiques. En plus de contribuer à réguler des populations de plusieurs groupes d’organismes aquatiques, il entre dans l’alimentation de divers vertébrés, dont des poissons, des oiseaux aquatiques… et même des humains ! En effet, les punaises d’eau géantes sont considérées comme un délice en cuisine vietnamienne.

Il y a donc plus de chances que nos punaises soient croquées par des humaines… qu’elles ne nous croquent !

Pour en savoir plus

Histoire d’une photo… ou deux! Ranatre à l’affut!

Parfois, une photo cache des trésors.

L’été dernier, M. Régent Lehouillier, que plusieurs connaissent sans doute à cause de son implication sur les réseaux sociaux, dont Nos amis les insectes (Du Québec), a publié quelques photos où se cachait toujours une ranatre.

Connaissez-vous les ranatres?

Aussi appelées « scorpions d’eau », il s’agit de punaises effilées munies de pattes ressemblant à celles d’une mante religieuse. Ce sont de voraces prédateurs vivant en eaux douces. J’en ai parlé plus longuement dans cette chronique.

Regardez la brindille sous le ventre de la grenouille… il s’agit d’une ranatre! Cliquez sur la photo pour la visionner plein écran.

Dans les premiers clichés publiés par M. Lehouillier, on pouvait apercevoir une ranatre près d’une grenouille, mais également une seconde, immobile, agrippée à une tige submergée sous des libellules en période d’accouplement. Dans tous les cas, les ranatres n’étaient pas le premier objet de la photo et semblent n’avoir été aperçues que par la suite.

Sous ces libellules, submergée, se cache une autre ranatre!

Fait intéressant, l’individu accroché à la tige submergée semblait avoir trouvé un site parfait pour tendre une embuscade aux libellules occupées à se reproduire. Plusieurs espèces de libellules pénètrent en effet dans l’eau pour y déposer leurs œufs (j’en parle ici). Ainsi, quoi de mieux pour un vorace prédateur que d’attendre un repas qui viendra tout bonnement à lui?

D’ailleurs, M. Lehouillier a eu la générosité de me transmettre la suite de ses observations… où la ranatre tente de s’emparer d’une libellule. Ces photos, visibles dans le carrousel de photos ci-dessous, témoignent d’un combat ranatre contre libellule que peu de gens ont eu la chance d’observer.

Fascinant, n’est-ce pas?

Carrousel de photos – Cliquez sur une photo pour démarrer le visionnement. En tout temps, regardez bien et vous verrez, sous l’eau, le scorpion d’eau. À quelques occasions, ses pattes et sa tête sortent même de l’eau, alors qu’il est agrippé à la libellule du bas – la femelle –,qui se débat.

Pour en savoir plus

  • Merritt, R.W. et K.W. Cummins. 1996. Aquatic insects of North America. 862 p.
  • Moisan, J. 2010. Guide d’identification des principaux macroinvertébrés benthiques d’eau douce du Québec, 2010 – Surveillance volontaire des cours d’eau peu profonds. 82 p. Disponible en ligne : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/eco_aqua/macroinvertebre/guide.pdf
  • Thorp, J.H., et A.P. Covich. 2001. Ecology and Classification of North American Freshwater Invertebrates. 1056 p.
  • Voshell, J.R. 2002. A guide to common freshwater invertebrates of North America. 442 p.

Des sous noirs sous l’eau!

Je ne vous avais pas parlé d’insectes aquatiques depuis un certain temps, n’est-ce pas?

Connaissez-vous les psephenidés? Les larves de cette famille de coléoptères (famille Psephenidae) sont aquatiques et sont communément appelées « water pennies », c’est-à-dire « cennes noires aquatiques ».

Pourquoi un tel nom?

C’est que ces larves, de forme aplatie, ne laissent voir que leur face dorsale, brune et ovale, laquelle ressemble effectivement à un sou noir.

Larves de psephenidés

Cette morphologie leur permet d’adhérer parfaitement aux roches soumises aux courants plus ou moins soutenus des rivières où elles vivent. D’ailleurs, elles ont un profil admirablement hydrodynamique: tout appendice – patte, antenne ou autre – est entièrement caché sous la partie dorsale dont les segments forment une sorte de bouclier légèrement bombé qui, si ce n’était pas assez, est bordé de franges de poils permettant d’adhérer encore mieux au substrat.

Sous ces airs de masse brune quelconque se cache pourtant un organisme intrigant! En effet, quand on parvient à déloger une larve d’une roche, on peut apprécier encore plus sa beauté. Sa face ventrale laisse paraître six pattes articulées, permettant de constater qu’un insecte s’y cache bel et bien! Elle laisse également entrevoir une tête qui arbore des antennes ressemblant à des cornes et une bouche comportant de « grosses babines » prêtes à brouter. Ces attributs, plus prononcés chez le genre Psephenus, me donnent l’impression d’observer une sorte de taureau quand j’examine une larve au stéréomicroscope.

Le dessous révèle bel et bien un insecte (genre Psephenus)

À ces caractéristiques s’ajoutent des branchies, servant à la respiration sous l’eau, qui sont bien visibles le long de l’abdomen chez le genre Psephenus (celui que l’on observe le plus souvent). Les membres de l’autre genre retrouvé au Québec, Ectopria, possèdent plutôt des branchies rétractables et cachées dans une « chambre caudale », située tout au bout de l’abdomen. En plus d’utiliser ces branchies, Voshell (2002) ajoute que les psephinidés peuvent aussi tirer l’oxygène du milieu aquatique par l’ensemble de leur surface corporelle.

La comparaison avec le taureau que j’ai effleurée plus haut ne s’arrête pas à la ressemblance physique : les psephenidés appartiennent majoritairement au groupe fonctionnel des brouteurs. Ils s’affairent donc à brouter le périphyton – soit les amas d’algues et de détritus associés qui poussent à la périphérie des roches. C’est ce qui donne l’allure verte ou brune plus ou moins visqueuse des roches submergées. Pour se nourrir, les larves attendent habituellement la nuit pour se déplacer vers le dessus des roches, où elles peuvent brouter les algues les plus nutritives. En plein jour, on les retrouve plutôt sous les roches; c’est d’ailleurs en soulevant des roches submergées et en examinant leurs parois qu’on peut les observer.

La taille d’une larve mature varie entre 3 et 10 mm

Lors de mes études, j’avais analysé le comportement alimentaire de beaucoup d’invertébrés vivant en milieu lotique (cours d’eau où il y a un certain courant), incluant entre autres les psephenidés. Il s’est avéré que les psephenidés étaient nos brouteurs par excellence, démontrant moins d’omnivorie potentielle que d’autres organismes considérés dans la littérature comme étant des brouteurs/herbivores (Anderson et Cabana 2007). Ils ont donc servi à établir la valeur de référence pour un organisme situé à la base des chaînes alimentaires en rivières au Québec. On peut dire qu’ils ont fait partie de mes invertébrés « chouchous » lors de mes études!

Noter la tête avec des lèvres charnues et les antennes en forme de cornes! Une vache aquatique?

Si les larves évoluent dans les rivières, les adultes sont plutôt observés hors de l’eau, sur les roches et la végétation adjacentes. Pour ma part, je n’ai pas eu l’occasion d’observer d’adultes à ce jour, mais vous pouvez vous référer à cette page de Bug Guide si vous êtes curieux de voir ce à quoi ils ressemblent.

Selon Voshell (2002), c’est après une à deux années de croissance que les larves sortent de l’eau pour se métamorphoser. Les adultes qui en émergent ne se nourrissent pas (ou très peu) et ont une courte durée de vie. Ils procèdent promptement à la copulation, à la suite de laquelle les femelles descendent sous l’eau pour déposer leurs œufs, d’un jaune brillant, en amas sur des roches.

Si vous avez lu mes précédentes chroniques, vous savez que j’ai un intérêt pour l’utilisation des invertébrés aquatiques en tant qu’indicateurs de l’intégrité des milieux d’eau douce. Les psephenidés font partie de tels bioindicateurs. Leur présence en cours d’eau peut dénoter une certaine pollution, puisqu’ils sont plutôt tolérants à différents polluants. La cote de tolérance qui leur est associée est d’ailleurs de 4 (Hauer et Lamberti 2007, MDDEFP 2013), soit approximativement à mi-chemin entre un invertébré intolérant à la pollution (0) et très tolérant (10). Vous pouvez jeter un coup d’œil à ce billet si vous voulez en savoir plus sur les invertébrés bioindicateurs en rivières.

Les deux genres retrouvés au Québec: Ectopria à gauche et Psephenus à droite

Concernant leur tolérance, j’ai très souvent observé des psephenidés dans des rivières situées sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, où les activités agricoles affectent davantage les cours d’eau (MELCC 2020). Celles-ci s’avèrent notamment enrichies en nutriments (comme l’azote et le phosphore), favorisant la croissance du périphyton qui est la source de nourriture des psephenidés. Justement, c’est lors de deux sorties récentes (en 2021) sur des cours d’eau de la rive sud du fleuve Saint-Laurent touchés par des activités agricoles (rivières Nicolet et du Chêne) que j’ai pris bon nombre des photos et des vidéos qui accompagnent la présente chronique.

Si je vous parle beaucoup des larves dans la présente publication, c’est que mes recherches m’ont permis de constater que les adultes sont beaucoup moins connus. L’ouvrage de Evans (2014) permet d’apprécier deux espèces sur les cinq qui seraient retrouvées dans l’est de l’Amérique du Nord. Normandin (2020) précise quant à lui que trois espèces sont retrouvées au Québec. Pour faire la connaissance des adultes, il me faudra sortir des cours d’eau et examiner les roches et la végétation qui les bordent!

On retrouve les larves de psephenidés sous les roches des cours d’eau

De votre côté, si vous souhaitez aller à la rencontre des larves, tout ce dont vous aurez besoin est de bottes pour descendre à l’eau. Vous n’avez qu’à viser un tronçon de rivière peu profond, où il y a un certain courant et où des galets sont présents. Il vous faudra ensuite simplement soulever et examiner les galets… et sans doute un peu de patience pour déloger doucement les larves des roches auxquelles elles s’accrochent!

Aurez-vous la main chanceuse pour découvrir quelques-uns de ces « trésors » de sous noirs?

Pour en savoir plus

  • Anderson, Caroline et Gilbert Cabana. 2007. Estimating the trophic position of aquatic consumers in river food webs using stable nitrogen isotopes. Journal of the North American Benthological Society 26(2): 273-285.
  • Borror, D.J. et R.E. White. 1970. Peterson Field Guides – Insects. 404 p.
  • Bug Guide. Family Psephenidae – Water Penny Beetles. https://bugguide.net/node/view/36129
  • Evans, A.V. 2014. Beetles of Eastern North America. 560 p.
  • Hauer, F.R., et G.A. Lamberti. 2007. Methods in stream ecology. 877 p.
  • Merritt, R.W. et K.W. Cummins. 1996. Aquatic insects of North America. 862 p.
  • Ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP), 2013. Guide de surveillance biologique basée sur les macroinvertébrés benthiques d’eau douce du Québec – Cours d’eau peu profonds à substrat grossier. 88 p.
  • Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC). 2020. Rapport sur l’état des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques du Québec 2020. 480 pages. https://environnement.gouv.qc.ca/eau/rapport-eau/rapport-eau-2020.pdf
  • Moisan, J. 2010. Guide d’identification des principaux macroinvertébrés benthiques d’eau douce du Québec, 2010 – Surveillance volontaire des cours d’eau peu profonds. 82 p. Disponible en ligne : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/eco_aqua/macroinvertebre/guide.pdf
  • Normandin, E. 2020. Les insectes du Québec. 620 p.
  • Thorp, J.H., et A.P. Covich. 2001. Ecology and Classification of North American Freshwater Invertebrates. 1056 p.
  • Voshell, J.R. 2002. A guide to common freshwater invertebrates of North America. 442 p.

Gagnante ex aequo 2021, partie 1 : La périthème délicate par Sylvie Benoit

La semaine dernière, je vous annonçais les deux gagnantes ex aequo du concours amical de photographie DocBébitte. Cette semaine, je vous entretiens au sujet de l’insecte représenté sur le premier des deux clichés gagnants : la périthème délicate.

Photo gagnante: la périthème délicate par Sylvie Benoit

Cette photo de Sylvie Benoit est une belle découverte pour moi. Lors de la soumission de sa photo, Sylvie me suggérait qu’il pourrait s’agir d’une espèce de sympétrum. En fouillant dans mes livres et sur le site des libellules du Québec, je demeurais cependant sceptique : les ailes ambrées et les pattes orangées ne cadraient pas avec les espèces de sympétrum retrouvées au Québec.

En cherchant davantage dans le guide de Paulson (2011), je trouvai qui était cette belle inconnue : la périthème délicate (Perithemis tenera). Reconnaissable justement par ses ailes ambrées et ses pattes orangées, il faut ajouter que cette libellule a peu fréquemment été observée au Québec, outre quelques occurrences tout au sud de la province (Entomofaune du Québec Inc. 2008-2021; Savard 2011). Cela concorde bien avec l’observation de Sylvie faite au Parc National de Plaisance, situé au sud du Québec et près des frontières ontariennes.

Les motifs de couleur sur l’abdomen constituent un autre indice qui aide à l’identification. Dans le cadre du concours de photographie, j’utilise les photos telles qu’elles m’ont été envoyées. Par contre, en effectuant un traitement « post-concours » sur le cliché (que je joins dans le présent billet, côte à côte avec la photo originale), on voit apparaître des motifs plus pâles le long de l’abdomen (voir aussi ce cliché de Bug Guide). Ces motifs, combinés à la couleur des ailes et des pattes, permettent d’identifier sans contredit que nous avons devant nous un mâle périthème délicate.

La femelle, de son côté, est assez distincte du mâle. Ses ailes, qui ne sont pas aussi ambrées, sont également flanquées de taches sombres (voir cette photo de Bug Guide).

Quelques ajustements dans la couleur de la photo font ressortir la teinte du visage et de légers motifs sur l’abdomen

Je n’avais pas réalisé la petite taille qu’avait cet insecte avant d’examiner des photos sur le site Bug Guide. La périthème délicate doit peut-être son nom au fait qu’elle semble en effet toute menue et frêle, du haut de ses 20 à 25 mm (ce qui est petit pour une libellule). Il s’agit d’ailleurs d’un autre critère utile à son identification.

La toute petite périthème n’est toutefois pas si douce : les mâles protègent farouchement leur territoire, d’un diamètre allant de 3 à 6 mètres. Il arrive même que Messieurs décident de « capturer » d’autres mâles en tandem afin de les empêcher de flirter avec les femelles du coin (le tandem est la position que prend le mâle et la femelle qui s’accouplent – j’en parle ici).

Les mâles qui parviennent à se trouver une compagne copulent brièvement : une moyenne de 17 secondes selon Paulson (2011). Eh oui, il faut croire que quelqu’un s’est amusé à chronométrer des libellules en pleine copulation !

Les œufs fécondés sont pondus sur des objets humides situés à l’interface entre l’air et l’eau, comme des herbiers flottants de plantes aquatiques ou des troncs partiellement submergés. Il s’agit d’habitats davantage lentiques, c’est-à-dire où le courant est faible : lacs, étangs et bras de rivières calmes. C’est dans ce milieu que vont évoluer les naïades qui, comme toute naïade de libellule qui se respecte, s’avèrent être de voraces prédateurs. À l’instar des adultes, les naïades sont petites et font 15 mm à maturité.

Fait intéressant, les sources que j’ai consultées indiquent que la périthème délicate est une bonne imitatrice. Les deux sexes, mais particulièrement les femelles, auraient développé une certaine expertise pour imiter les guêpes ! Avec leur corps un peu plus foncé et parsemé de lignes jaunes, elles hocheraient leur abdomen ou leurs ailes de sorte à ressembler aux guêpes : des insectes nettement moins désirables aux yeux des prédateurs ! Leur petite taille, approchant celle des guêpes, ajoute au subterfuge et elles sont même en mesure de confondre quelques entomologistes en herbe ! Gardez donc l’œil ouvert !

Voilà qui complète cette première chronique de deux visant à mettre en vedette les taxons qui figurent sur les photos de nos deux gagnantes de cette année.

Félicitations à nouveau à Sylvie Benoit pour cette victoire ex aequo et merci encore à tous ceux qui ont voté !

Pour en savoir plus

  • Bug Guide. Species Perithemis tenera – Eastern Amberwing. https://bugguide.net/node/view/8058 (page consultée le 11 octobre 2021).
  • Entomofaune du Québec, Inc. 1988-2021. Les libellules du Québec – Liste des espèces. http://entomofaune.qc.ca/entomofaune/odonates/Liste_especes.html (page consultée le 6 octobre 2021).
  • Evans, A.V. 2008. Field guide to insects and spiders of North America. 497 p.
  • Hutchinson, R. et B. Ménard. 2016. Naïades et exuvies des libellules du Québec: clé de détermination des genres. 71 pages.
  • Paulson, D. 2011. Dragonflies and damselflies of the East. 538 p.
  • Savard, M. 2011. Atlas préliminaire des libellules du Québec (Odonata). 53 p.

Capsule vidéo: Incursion au marais!

Comme vous le savez, j’ai récemment ajouté à l’offre DocBébitte la réalisation de capsules vidéo.

La semaine dernière, je lançais la plus récente d’entre elles: une incursion au marais.

Tournée au marais Léon-Provancher, vous y verrez une DocBébitte qui vous présente quelques invertébrés aquatiques: naïades de libellules et d’éphémères, gyrins, escargots et autres!

En sus, une petite surprise d’un organisme non invertébré qui aura su distraire quelques instants mon caméraman (mon conjoint, que je remercie d’ailleurs)!

Bon visionnement!