Kossé ça cette grosse bébitte-là ?! Le léthocère d’Amérique !

La photo qui m’a donné envie de vous parler du léthocère d’Amérique.

Le temps chaud ne fait que commencer à se pointer le bout du nez, mais les réseaux sociaux québécois débordent déjà de photos d’un énorme insecte qui impressionne.

Lorsque l’une de mes amies d’adolescence a elle-même publié une photo de cet insecte, accompagnée du texte « C’est quoi cette sorte de bébitte ?? », j’ai sauté sur l’occasion pour démystifier l’arthropode en question.

Qui est-ce ?

Il s’agit d’un léthocère d’Amérique (Lethocerus americanus), aussi appelé punaise d’eau géante.

Et avec raison !

Le léthocère peut atteindre une longueur de 55 à 65 mm, faisant de lui l’insecte québécois possédant le plus gros corps.

Vidéo complémentaire : les punaises d’eau géantes !

Qui dit gros insecte dit… gros appétit ! Ainsi, notre punaise d’eau géante est un prédateur particulièrement vorace. Elle se nourrit non seulement d’invertébrés aquatiques, mais aussi de vertébrés comme des têtards et des petits poissons. Tout ce qui est de taille à être maîtrisé figure au menu.

Le léthocère d’Amérique est gros. Ici dans la main de Ludovic Leclerc, qui l’a capturé.

Pour se nourrir, le léthocère saisit sa proie avec ses impressionnantes pattes ravisseuses. Ensuite, à l’aide de son rostre, il injecte des enzymes digestives, qui ont tôt fait de liquéfier les tissus internes de ses proies. Il ne lui reste qu’à siroter ce « savoureux » breuvage !

Outre sa taille, pourquoi le léthocère fait-il tant l’objet de clichés sur les réseaux sociaux ? C’est que cette bête est attirée par nos lumières, alors qu’elle se déplace pendant la nuit. On la retrouve donc souvent près de nos demeures, voire dans nos piscines.

Le rostre d’un léthocère (à gauche) contre les mandibules d’un coléoptère (à droite).

Un œil moins averti pourrait confondre les punaises d’eau avec des dytiques, d’autres insectes aquatiques prédateurs, au corps plutôt ovale, et dont les plus gros individus atteignent 40 mm. Toutefois, les punaises d’eau géantes font partie de la famille des hémiptères (punaises et cie), alors que les dytiques sont des coléoptères. Deux critères propres à ces familles peuvent donc nous aider à les distinguer : les pièces buccales et les ailes.

Les pièces buccales des hémiptères ressemblent à des pailles, que l’on appelle rostre. En revanche, les coléoptères sont munis de mandibules, des sortes de « dents » qui se referment l’une contre l’autre (voir cette photo des pièces buccales d’un dytique). Pour ce qui est des ailes, celles des hémiptères, comme le nom de cette famille le suggère, ne sont pas complètes : les ailes antérieures sont partiellement rigides et recouvrent le dos en se croisant. Les coléoptères, de leur côté, ont des ailes antérieures rigides qui recouvrent entièrement les ailes membraneuses postérieures de l’abdomen.

Une nèpe (à gauche) et un léthocère (à droite). Notez les longs tubes respiratoires au bout de l’abdomen de la nèpe.

Si ces critères ne suffisent pas, jetez un coup d’œil au bout de l’abdomen : une punaise d’eau géante adulte présente deux appendices courts à cet endroit (voir la vidéo qui accompagne la présente chronique). Ce n’est pas le cas des dytiques. Ces appendices font partie d’un tube respiratoire, qui permet aux punaises de s’alimenter en oxygène, même lorsqu’elles sont sous l’eau. C’est ce qui explique pourquoi ces dernières se tiennent très souvent près de la surface de l’eau, l’extrémité de leur abdomen brisant légèrement la surface. Elles respirent… un peu comme ce que nous faisons à l’aide d’un tuba ! Fait à noter : ces appendices sont rétractables. Par conséquent, leur présence confirme qu’il s’agit d’une punaise d’eau, mais leur absence fait que l’on doit vérifier la présence des autres critères susmentionnés. Autre point : si ces organes sont longs, il pourrait s’agir d’une nèpe, un autre hémiptère. À ne pas confondre !

Enfin, nous avons deux genres de punaises d’eau géantes au Québec, dont l’une est plus petite que le léthocère. Il s’agit du genre Belostoma, au sujet duquel j’ai écrit cette chronique que je vous invite à lire !

Le léthocère d’Amérique (à gauche) et un plus petit membre de la famille (genre Belostoma), à droite.

Mythes ou vérités

Une des raisons qui m’a poussée à écrire le présent billet, c’est la volonté de mettre un peu d’ordre dans la vaste panoplie d’affirmations que l’on peut lire sur les réseaux sociaux, lorsque quelqu’un publie une photo de léthocère d’Amérique. Sont-elles vraies ou exagérées ?

Lançons-nous !

1. Les léthocères sont indésirables.

Un article qui a été republié récemment m’a particulièrement fait réagir. Sur cette page de Météomédia, on dit qu’il est impératif de se débarrasser du léthocère, d’ailleurs qualifié « d’aspect peu ragoûtant », s’il est retrouvé dans notre bassin d’eau. Le terme me semblait un peu trop alarmiste.

Qu’en est-il ?

Premièrement, à cause de leur appétit vorace, les léthocères constituent-ils une menace dans un étang ?

La réponse semble être… oui, mais !

Selon Voshell (2002), on aurait recensé des cas où des individus ont été vus se nourrissant de poissons de 8 cm (truite) et 9 cm (jeune brochet maillé). Il conclut en outre que les punaises d’eau géantes peuvent être une menace pour les élevages de poissons. Par ailleurs, Folles Bestioles nous permet d’observer un cas où un léthocère d’Amérique, fraîchement capturé, se nourrit d’une petite barbotte.

Cependant, notre léthocère, prédateur comme il est, pourrait s’avérer utile pour manger d’autres organismes peuplant votre étang qui, eux, sont moins désirables. Tout est dans la nuance !

Deuxièmement, dans le même article, on parle de se débarrasser des léthocères, lorsque dans notre étang, pour éviter qu’ils ne s’y reproduisent et prolifèrent. Il est question d’une centaine d’œufs qui pourraient y être pondus, laissant une impression d’infestation imminente.

Encore une fois, j’apporterais un bémol.

Il est vrai que la femelle peut pondre quelque 150 œufs. Néanmoins, le léthocère d’Amérique n’est pas une espèce envahissante, mais bien indigène. De plus, les adultes sont ailés : une fois dans votre étang, ils ne sont pas pris pour y rester indéfiniment. Ils peuvent quitter d’eux-mêmes pour aller manger… ou même pondre ailleurs.

Faut-il impérativement s’en débarrasser ? Non, pas nécessairement !

2. La morsure du léthocère est redoutable.

Autre mythe : leur morsure ! On lit en effet beaucoup de commentaires sur l’incroyable morsure des punaises d’eau géantes.

Est-ce vrai ?

Selon les sources scientifiques consultées, oui, le léthocère a le potentiel de nous mordre – je dirais même de nous poinçonner – à l’aide de son rostre. Cependant, je lis dans plusieurs ouvrages que c’est normalement lorsque l’on tente de le manipuler et qu’on le perturbe qu’il va tenter de mordre. Malgré son appétit vorace, nous ne sommes pas d’intérêt pour lui !

De plus, sa morsure peut engendrer une réaction (on réagit aux sucs qu’il nous injecte), laquelle inclut de l’enflure, une sensation de brûlure ou l’apparition d’une tache brunâtre. Ne redoutant rien, Folles Bestioles nous démontre l’effet de la morsure dans cette vidéo. Chapeau pour la démonstration !

Constat des différentes sources consultées: oui, ça fait mal et, oui, une réaction est observée et peut persister jusqu’à plusieurs jours suivant l’injection.

Donc, sans être alarmiste, il est suggéré de manipuler ces insectes avec précaution.

Par ailleurs, si vous en trouvez dans vos piscines et que vous craignez qu’elles grimpent sur vous – elles veulent sans doute simplement sortir de là et vous êtes un support adéquat –, retirez-les à l’aide d’un filet et déposez-les à l’écart. Elles se sécheront les ailes et s’envoleront, comme cette punaise du genre Belostoma que j’avais observée en 2016.

Hum, cette bête a un air malin ! Elle peut mordre lorsque perturbée.

3. Le mâle léthocère porte les œufs sur son dos.

Avez-vous déjà entendu parler du fait que les punaises d’eau géantes mâles portent leur progéniture (les œufs) sur leur dos ? C’est vrai… en partie !

En fait, ce sont les genres Belostoma et Abedus (ce dernier est cependant non retrouvé au Québec) qui adoptent ce comportement. J’en parle d’ailleurs un peu plus dans la chronique associée.

En revanche, le genre Lethocerus, auquel appartient le léthocère d’Amérique, ne présente pas ce comportement. La femelle pond plutôt ses œufs sur la végétation aquatique, les roches, de même que les branches et les feuilles retrouvées près de l’eau ou sous l’eau. Néanmoins, les mâles demeurent à proximité des œufs après qu’ils aient été pondus, afin de les protéger. Ils ne transportent pas leurs rejetons sur le dos, mais ce sont tout de même de bons pères !

Une grosse « bébitte » redoutable ?

Oui, le léthocère d’Amérique est impressionnant. Sa taille et sa voracité le confirment.

Est-il redoutable et indésirable pour autant?

Bien sûr que non !

Ce prédateur indigène joue un rôle important dans les écosystèmes aquatiques. En plus de contribuer à réguler des populations de plusieurs groupes d’organismes aquatiques, il entre dans l’alimentation de divers vertébrés, dont des poissons, des oiseaux aquatiques… et même des humains ! En effet, les punaises d’eau géantes sont considérées comme un délice en cuisine vietnamienne.

Il y a donc plus de chances que nos punaises soient croquées par des humaines… qu’elles ne nous croquent !

Pour en savoir plus

Gagnant du concours amical de photographie d’invertébrés 2022 : Mouche du genre Condylostylus par Luc Pouliot

Les jeux sont faits !

Sortez tambours et trompettes, nous avons un gagnant !

Vous aviez la lourde tâche cette année de choisir parmi 23 superbes clichés d’invertébrés. Et c’est l’un des clichés de monsieur Luc Pouliot – un candidat habitué du concours amical de photographie – qui a remporté la première place : la belle mouche vert métallique du genre Condylostylus !

Félicitations à Luc Pouliot qui a remporté le concours amical 2022 avec cette photo !
Mention honorable à Manon Tremblay pour cette belle argiope jaune et noire (Argiope aurantia).

Chose promise, chose due, ladite photo est mise en vedette dans la présente chronique et je m’affairerai à vous parler dans quelques instants de cet insecte coloré !

Or, avant de commencer, j’aimerais chaleureusement remercier tous les participants qui nous ont fait voir de beaux invertébrés que l’on peut retrouver au Québec.

En particulier, j’offre une mention honorable pour la photographie « Argiope aurantia » de Manon Tremblay, qui s’est hissée sur la seconde marche du podium. La belle et grosse araignée jaune et noire en aura charmé plus d’un !

La mouche du genre Condylostylus

Sur la photographie gagnante de Luc Pouliot, on peut apprécier de très près une sorte de mouche dont je n’ai pas encore eu la chance de vous parler. Ça tombe bien, moi qui aime apprendre sur de nouveaux organismes !

J’ai donc farfouillé dans mes ouvrages entomologiques et plusieurs sites Internet pour pourvoir en écrire davantage sur le sujet. Je vous partage mes apprentissages !

Tout d’abord, le spécimen croqué sur le vif appartient à la famille Dolichopodidae, une famille de mouches prédatrices. Appelées long-legged flies en anglais (mouches à grandes pattes), leur corps est en effet soutenu par des pattes plutôt longues et effilées, comme on le voit si bien sur la photo gagnante.

Cette famille est composée d’individus relativement petits, mesurant généralement moins de 5 mm, mais pouvant néanmoins atteindre jusqu’à 9 mm. En Amérique du Nord, au nord du Mexique, on retrouve environ 1300 espèces, dont quelque 35 qui appartiennent au genre Condylostylus.

Les espèces du genre Condylostylus sont celles qui sont les plus communément observées, probablement à cause de leur propension à se promener, lors de journées chaudes et ensoleillées, sur le feuillage des plantes de nos jardins ou des sentiers que l’on emprunte. On peut également les observer dans des milieux plus humides, comme les abords de plans d’eau et les boisés humides. D’ailleurs, les larves des dolichopodides évoluent dans ce type de milieu : sol humide, végétation en décomposition, sous l’écorce des arbres ou même en milieu aquatique.

Généralement de couleur métallique, nos mouches Condylostylus arborent fièrement le vert, le bronze ou le bleuté. Normandin (2020) précise que les individus de ce genre se distinguent légèrement d’autres espèces de dolichopodides justement par leur iridescence métallique plus prononcée. Ça leur donne un charme certain, si on se fie à la photographie mise en vedette cette semaine !

Fait intéressant, les adultes se nourrissent de petits invertébrés, nommément des collemboles, des acariens, des pucerons et divers petits insectes. Pour ce faire, ils sont munis de pièces buccales qui percent la chair de leurs proies – une sorte de courte trompe (proboscis). Les larves aussi sont prédatrices et se nourrissent d’autres petits invertébrés. Ce comportement alimentaire fait que les individus du genre Condylostylus peuvent être considérés comme des alliés dans nos jardins !

Si vous n’avez pas encore rencontré cet arthropode, examinez le feuillage des plantes vers la fin du printemps et au travers de l’été. La mouche Condylostylus est très largement répandue en Amérique du Nord et considérée, dans les sources que j’ai consultées, comme ubiquiste.

Quoique très communes, ces mouches demeurent assez furtives pour le photographe en herbe. Agiles et rapides, il est difficile de les croquer sur le vif… On s’apprête à cliquer et… pouf ! Elles sont déjà disparues ! J’ai d’ailleurs beaucoup de photos floues de cette famille, hélas! Chapeau à Luc Pouliot qui a sans doute usé de patience pour réussir son cliché !

Bravo encore à Luc Pouliot et merci à tous pour votre participation et votre intérêt ! On se revoit l’an prochain !

Pour en savoir plus

Des chenilles qui se déhanchent ?

Plus tôt cet été, une lectrice m’a écrit au sujet d’une observation singulière : des chenilles qui réagissent à l’unisson face à des cris et des sons soudains. Elle s’interrogeait sur la nature de cette réaction et son but.

Cette observation, soutenue par des vidéos disponibles sur YouTube, dont celle-ci mettant en vedette la livrée des forêts, a en effet de quoi à surprendre.

Mais pourquoi donc ces chenilles gigotaient-elles de la sorte ?

La livrée des forêts a fait l’objet de la vidéo YouTube mentionnée en début de chronique

J’ai feuilleté mes livres d’entomologie sans trouver de réponse claire…

Pourtant, j’ai découvert en fouillant sur Internet, en particulier dans des articles de périodiques scientifiques, qu’il s’agissait d’une réaction bien connue des chercheurs.

Effectivement, plusieurs articles scientifiques, dont quelques-uns cités dans la section « Pour en savoir plus » ci-dessous, rapportent des réactions de différentes espèces de chenilles – dont la très connue chenille du monarque – à diverses fréquences sonores. Les réactions sont déclenchées par une vaste gamme de sons incluant la voix humaine, la toux, les claquements de main, le trafic autoroutier et les avions.

Les réactions des chenilles à ces sons sont également variées. En plus des chenilles qui « dansent » et se tortillent, certaines peuvent entre autres figer, se laisser tomber au sol, contracter leur corps ou agiter des appendices d’apparence tentaculaires (exemple de l’espèce Furcula borealis).

Mais pourquoi donc afficher de telles réactions ?

Il semble que la réaction des chenilles aux sons subits ne soit rien de moins… qu’une stratégie de défense !

En effet, selon les sources consultées, les fréquences mises en cause concordent à celles produites par des prédateurs et des parasitoïdes aériens, plus particulièrement au son généré par le battement de leurs ailes.

La chenille du monarque peut, elle aussi, réagir aux sons soudains

Si l’on revient aux mouvements brusques mentionnés au début du présent billet, ils auraient donc pour effet de dérouter ou de secouer les invertébrés prédateurs ou parasitoïdes, qui ne seraient pas en mesure de compléter leur besogne. Par exemple, un insecte parasitoïde aura de la difficulté à pondre son œuf sur une proie qui se secoue. Et, fait intéressant, les études semblent démontrer que les fréquences auxquelles les chenilles sont les plus sensibles correspondent à celles émises par bon nombre de diptères et d’hyménoptères – des groupes qui comprennent plusieurs prédateurs et parasitoïdes de lépidoptères.

Vraisemblablement, la fréquence sonore générée par les cris d’un humain correspond à celle émise par ces prédateurs et parasitoïdes… et déclencherait donc le « déhanchement » noté chez les chenilles.

Mystère résolu !

Pour en savoir plus

La corydale noire: pas si sombre que ça!

Connaissez-vous les mégaloptères?

Larve de la corydale noire (Nigronia serricornis)

Ma toute première chronique DocBébitte parue en 2013 portait sur les larves de cet ordre d’insectes… lesquelles sont aquatiques! Connaissant mon amour des organismes aquatiques, vous n’êtes sans doute pas surpris de cette affirmation!

Depuis, je vous ai entretenu à quelques reprises au sujet de divers membres de cet ordre, incluant :

Par contre, je n’avais pas encore écrit sur l’espèce de mégaloptère que je rencontre le plus – je dirais même presque exclusivement – quand je patauge dans une rivière à courant : la corydale noire (Nigronia serricornis).

Vidéo 1. Capsule sur la larve de la corydale noire.

Initialement, j’allais vous parler du genre Nigronia, mais mes recherches m’ont permis de découvrir qu’il n’y a qu’une seule espèce appartenant à ce genre au Québec. Cela est facilitant pour l’identification des larves, le stade auquel je m’intéresse tout particulièrement!

Une des raisons pour lesquelles j’avais envie d’écrire sur cette espèce de mégaloptère, c’est que je vois fréquemment des erreurs d’identification des larves sur les réseaux sociaux. Comme la corydale cornue est beaucoup plus connue, il est fréquent de voir des larves de la corydale noire être identifiées comme étant celles de la corydale cornue… ou même celles du genre Chauliodes (dont nous avons deux espèces au Québec).

Alors, démêlons tout cela !

Identification des larves de Corydalidae au Québec

Vous capturez ou photographiez une larve de la famille Corydalidae au Québec et voulez connaître le genre auquel elle appartient?

Voici quelques trucs pour vous!

Mais avant de commencer :

Astuce #1. Vérifiez si le spécimen possède des branchies en touffes à la base des branchies ressemblant à de longs filaments et situées tout au long de l’abdomen. Voir cette photo ou encore celle-ci de Bug Guide. Si l’organisme est hors de l’eau, il serait préférable que vous ayez une photo de sa face ventrale, car les branchies en touffes ne seront pas déployées et facilement visibles.

Le spécimen a des branchies en touffes?

Si oui, c’est le genre Corydalus!

Si la réponse est non, passez à l’étape suivante!

La larve de la corydale noire ne possède pas de branchies en touffes en vue ventrale

Astuce #2. Après avoir franchi l’étape ci-dessus, examinez la longueur des deux siphons respiratoires situés près du bout de l’abdomen, en face dorsale. Vérifiez si les siphons sont plutôt longs et dépassent les fausses pattes présentes tout au bout de l’abdomen. Notez que les deux siphons peuvent être de longueur différente. Voir cette photo de Bug Guide où l’on voit très bien les deux siphons.

Les siphons sont-ils longs et dépassent-ils les fausses pattes?

Si oui, c’est le genre Chauliodes.

Si non, c’est le genre Nigronia. Et comme il n’y a qu’une espèce au Québec, il s’agit de la corydale noire (N. serricornis).

Bravo, vous y êtes parvenus !

Les siphons respiratoires sont courts chez la corydale noire (N. serricornis)

Caractéristiques de la corydale noire

Comme mentionné d’emblée, les larves de la corydale noire sont celles que je rencontre le plus souvent. Marshall (2009) indique que cette espèce est très commune en eaux courantes (milieux lotiques) et fréquemment observée le long de cours d’eau où les truites prolifèrent. Les truites sont sensibles à la pollution et ne subsistent pas longtemps dans les cours d’eau plus détériorés. Il est vrai que les membres de la famille Corydalidae ont une cote de tolérance à la pollution très faible (cote de 0 pour la famille; Hauer  et Lamberti (2007), MDDEFP (2013)) et qu’on pourrait par conséquent les retrouver uniquement dans les milieux lotiques peu affectés par l’activité humaine – les cours d’eau « à truite » dont parle Marshall…

La larve est dénichée en revirant des roches dans les rivières à courant

Or, mes observations m’ont amenée à être plus nuancée, puisque j’ai observé plus d’une fois des larves de corydales noires et de corydales cornues dans des rivières affectées par des activités agricoles et urbaines. D’ailleurs, un endroit où je déniche des larves de corydale noire à chacune de mes visites est la rivière du Cap-Rouge… comme le témoigne cette vidéo où j’ai eu l’honneur de faire une sortie « terrain » avec Folles Bestioles. La rivière du Cap-Rouge est une rivière dont le tracé traverse des zones urbaines et agricoles; sa qualité est affectée par ces activités.

La larve de la corydale noire, comme les autres mégaloptères, est un vorace prédateur. À son menu figurent de nombreux insectes aquatiques (larves de chironomes, de trichoptères et de mouches noires, naïades d’éphémères et de plécoptères, etc.), ainsi que des crustacées, des vers aquatiques et j’en passe! Comme elle est plutôt grosse (elle peut atteindre 30 mm), elle peut engouffrer une vaste palette d’organismes, y compris d’autres mégaloptères.

La larve a des mandibules acérées

La larve passe trois années sous l’eau, à croître et engraisser. Elle sort hors de l’eau quand vient le moment de former une pupe. Elle rampe sous du bois mort, des roches et des débris variés retrouvés près du cours d’eau.

L’adulte qui en émerge mesure entre 36 et 40 mm. Il ne se nourrit pas et, aussitôt ses ailes séchées et prêtes à voler, il part à la conquête d’un partenaire. Il ne vivra qu’environ une semaine. Pendant cette période, la femelle fécondée pondra ses œufs sur la végétation bordant le cours d’eau.

Les adultes sont plus faciles à distinguer des autres mégaloptères que les larves. Au Québec, il n’y a que cette espèce de mégaloptère dont les ailes sont flanquées d’une tache blanche, comme on le voit sur cette photo d’un spécimen vivant prise par ELiSO.

L’adulte, contrairement à son nom, n’est pas tout noir!

J’aurais aimé agrémenter la présente chronique de mes propres photos de corydale noire adulte vivante, mais je n’ai en main que des spécimens naturalisés.

Bien que j’aie rencontré la larve des tonnes de fois, il semble que je n’aie pas encore eu cette chance avec les adultes, hélas! En avez-vous déjà observé ou photographié pour votre part? Avec leurs jolies ailes tachetées de blanc, ces corydales noires sont loin d’être si sombres!

Autre vue sur l’adulte

Pour en savoir plus

Histoire d’une photo… ou deux! Ranatre à l’affut!

Parfois, une photo cache des trésors.

L’été dernier, M. Régent Lehouillier, que plusieurs connaissent sans doute à cause de son implication sur les réseaux sociaux, dont Nos amis les insectes (Du Québec), a publié quelques photos où se cachait toujours une ranatre.

Connaissez-vous les ranatres?

Aussi appelées « scorpions d’eau », il s’agit de punaises effilées munies de pattes ressemblant à celles d’une mante religieuse. Ce sont de voraces prédateurs vivant en eaux douces. J’en ai parlé plus longuement dans cette chronique.

Regardez la brindille sous le ventre de la grenouille… il s’agit d’une ranatre! Cliquez sur la photo pour la visionner plein écran.

Dans les premiers clichés publiés par M. Lehouillier, on pouvait apercevoir une ranatre près d’une grenouille, mais également une seconde, immobile, agrippée à une tige submergée sous des libellules en période d’accouplement. Dans tous les cas, les ranatres n’étaient pas le premier objet de la photo et semblent n’avoir été aperçues que par la suite.

Sous ces libellules, submergée, se cache une autre ranatre!

Fait intéressant, l’individu accroché à la tige submergée semblait avoir trouvé un site parfait pour tendre une embuscade aux libellules occupées à se reproduire. Plusieurs espèces de libellules pénètrent en effet dans l’eau pour y déposer leurs œufs (j’en parle ici). Ainsi, quoi de mieux pour un vorace prédateur que d’attendre un repas qui viendra tout bonnement à lui?

D’ailleurs, M. Lehouillier a eu la générosité de me transmettre la suite de ses observations… où la ranatre tente de s’emparer d’une libellule. Ces photos, visibles dans le carrousel de photos ci-dessous, témoignent d’un combat ranatre contre libellule que peu de gens ont eu la chance d’observer.

Fascinant, n’est-ce pas?

Carrousel de photos – Cliquez sur une photo pour démarrer le visionnement. En tout temps, regardez bien et vous verrez, sous l’eau, le scorpion d’eau. À quelques occasions, ses pattes et sa tête sortent même de l’eau, alors qu’il est agrippé à la libellule du bas – la femelle –,qui se débat.

Pour en savoir plus

  • Merritt, R.W. et K.W. Cummins. 1996. Aquatic insects of North America. 862 p.
  • Moisan, J. 2010. Guide d’identification des principaux macroinvertébrés benthiques d’eau douce du Québec, 2010 – Surveillance volontaire des cours d’eau peu profonds. 82 p. Disponible en ligne : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/eco_aqua/macroinvertebre/guide.pdf
  • Thorp, J.H., et A.P. Covich. 2001. Ecology and Classification of North American Freshwater Invertebrates. 1056 p.
  • Voshell, J.R. 2002. A guide to common freshwater invertebrates of North America. 442 p.