Vous êtes nombreux à me transmettre de magnifiques photos d’insectes, parfois pour partager vos observations, parfois pour solliciter mon aide dans l’identification des spécimens croqués sur le vif.
Au début du mois d’août dernier, ma mère me faisait parvenir des clichés pris par mon oncle d’un joli papillon qui était, jusqu’au 21e siècle, rarement observé, voire inexistant au Québec.
Belle observation!
Il s’agissait du grand papillon porte-queue (Papilio cresphontes).
Ce papillon a suscité un vif intérêt en 2012, alors que des chenilles de cette espèce ont été repérées au Jardin botanique de Montréal. C’était, selon Radio-Canada (2012), la première observation de ces chenilles au Québec.
Originaire du sud des États-Unis, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, ce lépidoptère a étendu son aire de répartition. À la fin des années 1990, il atteignait l’Ontario, pour aboutir à Montréal une dizaine d’années plus tard. D’après Radio-Canada (2012), sa vitesse de colonisation vers le nord a été impressionnante : 15 fois plus élevée que la moyenne des espèces de papillons!
Avec son envergure de 8,3 à 14 cm, il est considéré comme le plus grand papillon diurne du Canada. Sa face dorsale brun foncé ou noire est ornée, sur l’aile antérieure, d’un X jaune bien visible, quoiqu’un peu déformé en apparence. Dans l’est du Canada et à nos latitudes, il se distingue aisément des autres espèces.
En vue dorsale, le papillon du céleri (Papilio polyxenes) lui ressemble un peu, mais comporte beaucoup moins de motifs jaunes. Quant à sa face ventrale, nettement plus jaune, elle le rapproche en apparence du papillon tigré du Canada (Papilio canadensis). Cependant, on voit bien sur cette photo de iNaturalist que le grand porte-queue présente des motifs circulaires, évoquant de grosses bulles, tandis que le papillon tigré du Canada (cette photo) exhibe des motifs… tigrés!
Dans la partie nord de son aire de distribution, le grand porte-queue présente deux périodes de vols entre mai et septembre. On peut donc le voir tout au long de la période estivale. Plus au sud, le papillon peut être observé toute l’année.
Cette espèce préfère les habitats ouverts et souvent situés à proximité des plantes hôtes, dont les tourbières, les milieux humides, ainsi que les boisés ouverts, tourbeux et humides. Les adultes sirotent le nectar des fleurs d’une variété de plantes herbacées et arbustives. Ils peuvent donc être attirés dans nos jardins.
La chenille, qui peut mesurer jusqu’à 5,5 cm, arbore des teintes marron et crème. Sa robe, légèrement luisante, imite une fiente d’oiseau, un subterfuge efficace pour éviter de se faire dévorer. Lorsqu’elle se sent menacée, elle peut également gonfler un organe rougeâtre situé derrière sa tête appelé osmeterium (consultez cette photo de BugGuide). En plus de surprendre un potentiel prédateur, l’osmeterium dégage une odeur désagréable. Bref, rien de la chenille ne donne vraiment envie de s’en délecter, n’est-ce pas?
La chenille se nourrit de végétaux de la famille des rutacées, comprenant divers agrumes (Citrus spp.), le frêne épineux (Zanthoxylum americanum), la rue officinale (Ruta graveolens), la fraxinelle (Dictamnus albus) et l’orme de Samarie (Ptelea trifoliata). Sa consommation des feuilles de plants d’agrumes lui a valu le nom anglais d’Orange dog (chien de l’orange) et elle est considérée comme une nuisance dans les plantations d’agrumes.
La chenille mature forme sa chrysalide sur un support vertical. Il s’agit souvent de la plante-hôte, mais elle peut également s’accommoder d’autres objets créés par l’homme, tels que les poteaux et les murs. C’est sous cette forme qu’elle traversera les rigueurs de l’hiver.
La chrysalide est brunâtre et ressemble à un bout d’écorce ou une petite branche morte (voir cet exemple de iNaturalist). Elle peut facilement passer inaperçue. Il n’en demeure pas moins qu’elle est sujette au parasitisme par certaines mouches et guêpes.
L’expansion fulgurante de l’aire de distribution du grand porte-queue est attribuée aux changements climatiques et, en particulier, à la diminution de la fréquence des gels en septembre. Cela favorise la survie d’un plus grand nombre de chenilles, juste avant leur transformation en chrysalide. Si l’on examine les occurrences sur iNaturalist de ce papillon au Québec, on constate que la région de Montréal est maintenant bien couverte. On note aussi des présences ponctuelles à Trois-Rivières et à Québec.
Fait intéressant, mes recherches m’ont permis de découvrir, dans le livre de Handfield (2011), que ce papillon a été observé très localement au Québec, à Châteauguay, dans les années 1880. Malgré moult recherches de Handfield, les spécimens capturés à cette époque n’ont pu être récupérés, ne permettant pas de confirmer hors de tout doute cette observation. Cependant, toujours selon Handfield au moment de publier son livre en 2011, l’espèce était considérée comme éteinte au Québec ou, au mieux, rare et très localisée.
Dans le cas spécifique du grand porte-queue, les répercussions de sa migration vers le nord sur les écosystèmes et les autres espèces d’arthropodes semblent limitées. Ou, du moins, on en parle peu dans les sources consultées.
Néanmoins, cette expansion témoigne de la possibilité que d’autres espèces, potentiellement plus nuisibles pour les écosystèmes ou la santé humaine, puissent se propager plus rapidement que prévu vers nos latitudes. J’avais abordé le sujet de la biodiversité au printemps dernier, un thème qui me tient particulièrement à cœur. Les changements climatiques sont considérés comme jouant un rôle central dans les récents bouleversements recensés dans la biodiversité autour du globe.
Quoi qu’il en soit, le portrait n’est ni tout noir, ni tout blanc. Si, dans le cas des tiques et de la maladie de Lyme, la montée de nouvelles espèces vers le nord est préoccupante, l’expansion du grand porte-queue nous offre l’occasion d’apprécier de toutes nouvelles – et fort jolies – espèces. Espérons que l’impact de ce papillon sera davantage positif… et qu’il sera au rendez-vous l’été prochain, pour le plaisir de nos yeux!
Pour en savoir plus
- Bartlett Wright, A. 1993. Peterson First Guide to Caterpillars of North America. 128 p.
- Bug Guide. Species Papilio cresphontes – Eastern Giant Swallowtail – Hodges#4170. https://bugguide.net/node/view/3253 (page consultée le 3 février 2024).
- Evans, A.V. 2008. Field guide to insects and spiders of North America. 497 p.
- Handfield, L. 2011. Guide d’identification – Les papillons du Québec. 672 p.
- iNaturalist. Grand Porte-Queue (Heraclides cresphontes). https://inaturalist.ca/taxa/85024-Heraclides-cresphontes (page consultée le 3 février 2024).
- Marshall, S.A. 2009. Insects. Their natural history and diversity. 732 p.
- Normandin, E. 2020. Les insectes du Québec. 620 p.
- Radio-Canada. 2012. Changements climatiques : un papillon apparaît au Québec. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/570192/quebec-papillons-apparition (page consultée le 2 février 2024).
- Wagner, D.L. 2005. Caterpillars of Eastern North America. 512 p.
- Wikipédia. Papilio cresphontes – Grand porte-queue. https://fr.wikipedia.org/wiki/Papilio_cresphontes (page consultée le 3 février 2024).

