Ces papillons tigrés s’y prenaient à trois sur ce poisson mort
Ah, les papillons !
Ces charismatiques organismes qui réconcilient bon nombre d’humains au monde des arthropodes.
On les imagine butinant de jolies fleurs colorées… mais moins souvent se nourrissant de fientes et de cadavres !
C’est pourtant bien le cas de plusieurs espèces de lépidoptères, dont le papillon tigré du Canada (Papilio canadensis).
Lors d’un périple autour d’un lac, plus tôt cet été, je pus en observer trois en plein délit de gourmandise… sur un petit poisson mort ! Ils étaient tellement affairés à se goinfrer que j’eus le temps de prendre de multiples photos et vidéos de très près. Je vous invite d’ailleurs à visionner le court montage vidéo que je vous ai concocté à la fin de la présente chronique.
Deux des papillons, vus de plus près
Il y a quelques années, j’avais documenté des individus s’alimentant de fientes de canards (cette chronique). Je savais donc déjà que le doux nectar des fleurs ne constituait pas le seul aliment à leur menu.
Quel est l’intérêt, me direz-vous, de manger les restes d’animaux morts et les fientes ? La réponse réside dans leur contenu : des éléments nutritifs essentiels à la survie !
D’ailleurs, Handfield (2011) fait état, dans son ouvrage, d’observations de nombreux papillons tigrés du Canada massés autour de mares d’eau pour en tirer du sodium, ou encore se nourrissant de fumier, d’excréments de chiens et d’animaux en décomposition.
Bref, quand il est question de survivre, nos beaux papillons sont loin de faire la fine bouche. Un peu de sushi avec ça ?
Pour en savoir plus
Handfield, L. 2011. Guide d’identification – Les papillons du Québec. 672 p.
Découverte d’une grosse chenille verte à l’île aux Lièvres
Vous êtes plusieurs à avoir deviné que l’insecte-mystère de la dernière publication était l’un de nos plus gros papillons de nuit québécois : le polyphème d’Amérique!
En effet, avec ses 10 à 15 cm d’envergure, il s’agit d’un insecte fort impressionnant, en deuxième position du palmarès des plus gros papillons nocturnes québécois derrière la saturnie cécropia.
La chenille, pouvant atteindre une longueur de 7,5 cm, est tout aussi imposante.
La chenille est de grande taille
C’est en farfouillant dans mes photos de l’été dernier que j’eus l’idée de vous parler du polyphème. J’avais eu la chance d’observer et de photographier une grosse chenille verte lors d’un périple à l’île aux Lièvres. Il s’agissait de la larve du polyphème d’Amérique (Antheraea polyphemus), un lépidoptère de la famille Saturniidae.
Autre vue sur la chenille
Verte, ornée de tubercules oranges, elle se distingue aisément de la plupart des autres espèces. Elle peut être confondue avec la chenille du papillon lune (Actias Luna), laquelle porte cependant une bande longitudinale jaune que l’on ne retrouve pas chez le polyphème. De plus, la chenille du polyphème a une tête brune, alors que celle du papillon lune est verte. Dernier truc : les bandes jaunes obliques qui parsèment l’abdomen se situent au niveau des stigmates chez le polyphème, alors qu’elles sont logées entre chaque segment abdominal chez le papillon lune.
L’adulte est unique en son genre. Il ne peut être confondu avec d’autres papillons québécois. Sa robe est beige rosé ou cannelle. Ses ailes sont flanquées de motifs qui rappellent des yeux. Ces derniers servent, comme on pourrait s’y attendre, à intimider les prédateurs, qui croient sans doute avoir devant eu une bête quelconque de plus large taille. Peut-être un dragon, comme je le laissais entendre dans la dernière devinette, qui sait?
Le mâle est un peu plus petit, mais ses antennes sont bien plus plumeuses que celles des femelles. Il s’en sert pour détecter les phéromones émises par ces dernières. Et on peut dire que ce sont des antennes à haute réception, puisque le mâle peut déceler les phéromones jusqu’à un kilomètre de distance!
Le grandiose polyphème d’Amérique
La principale période d’activité du mâle et de la femelle a lieu pendant la nuit. Nocturnes, ces papillons sont toutefois attirés par les lumières, ce qui permet de les observer aux pièges lumineux ou, si l’on est chanceux, près de nos demeures.
Les ailes comprennent des tons de rosé et de cannelle
Les sources que j’ai consultées indiquent que la chenille est capable d’émettre un clappement audible avec ses mandibules. Il semblerait que la fonction associée à cette action n’ait pas encore été élucidée; néanmoins, chez des chenilles élevées en groupe, ce comportement s’avérerait contagieux! Si une chenille émet un clappement, cela en incitera d’autres à en faire de même!
Les plantes-hôtes préférées des chenilles sont multiples et elles ne font point la fine bouche ! Ainsi, elles se délectent des feuilles de nombreux feuillus, incluant les bouleaux blancs, les ormes, les chênes, les érables et les peupliers… pour n’en nommer que quelques-uns !
Il n’est donc pas surprenant de voir voler les adultes dans les forêts de feuillus, les boisés urbains, les friches arborescentes et la lisière des bois. À cet effet, ceux-ci peuvent être observés en vol de la mi-mai au début du mois d’août. Ils sont abondants dans le sud du Québec et le long du fleuve Saint-Laurent, jusque dans les maritimes, quoiqu’absents de l’île d’Anticosti et de Terre-Neuve selon Handfield (2011) et Leboeuf et Le Tirant (2018).
Le mâle possède des antennes plumeuses
Le terme « polyphème » prend ses sources dans la mythologie grecque. Polyphème était un cyclope géant, fils de Poséidon et de la nymphe Thoossa, qui captura Ulysse et ses compagnons afin de les dévorer. Ulysse évita toutefois la catastrophe en crevant l’unique œil de Polyphème et en s’échappant, caché sous les brebis du cyclope maintenant rendu aveugle.
« L’œil » unique sur l’aile postérieure
Histoire fascinante, n’est-ce pas?
C’est donc l’œil unique marquant chaque aile inférieure du polyphème qui contribua à le baptiser en l’honneur d’un cyclope!
Que l’on aime la mythologie ou non, on ne peut rester de marbre devant le somptueux polyphème d’Amérique. D’ailleurs, Handfield (2011) indique que ce fascinant papillon a déjà été surnommé le « bijou de la nuit ». Un nom qui sied bien à l’un de nos plus gros et beaux lépidoptères nocturnes!
Pour en savoir plus
Bartlett Wright, A. 1993. Peterson First Guide to Caterpillars of North America. 128 p.
Beadle, D. et S. Leckie. 2012. Peterson field guide to moths of Northeastern North America. 611 p.
Bug Guide. 2005. Species Antheraea polyphemus – Polyphemus Moth – Hodges#7757. https://bugguide.net/node/view/427 (page consultée le 31 mars 2021).
Dubuc, Y. 2007. Les insectes du Québec. 456 p.
Handfield, L. 2011. Guide d’identification – Les papillons du Québec. 672 p.
Leboeuf, M. et S. Le Tirant. 2018. Papillons de nuit et chenilles du Québec et des Maritimes. 335 p.
Normandin, E. 2020. Les insectes du Québec. 620 p.
Wagner, D.L. 2005. Caterpillars of Eastern North America. 512 p.
En juillet 2019, je publiais une chronique au sujet d’une remarquable chenille – celle du bombyx disparate –, aussi appelée spongieuse (Lymantria dispar). On en apercevait alors passablement.
Femelle du bombyx disparate
Au début de l’été 2020, je remarquai qu’il y avait énormément de feuilles d’arbres et d’arbustes dévorées par ces chenilles. Et ce, peu importe où je me baladais dans la grande région de Québec.
Elles étaient partout! Et encore plus nombreuses que l’année précédente!
En avez-vous observé dans votre région?
Les chenilles de la spongieuse sont particulièrement grosses, avec leurs six centimètres de long. À l’instar de ces dernières, l’adulte est de grosseur appréciable : les mâles font 45 mm, alors que les femelles atteignent 64 mm.
Quand je vous avais écrit sur le sujet, je n’avais aucune photo d’adultes en ma possession. C’est maintenant chose faite! La forte abondance de chenilles ce printemps laissait présager une année riche en adultes. Justement, je pus en observer partout… et prendre plusieurs clichés! Accompagnée de mon copain, qui possède un meilleur appareil photo que moi, nous avons capturé mâles et femelles en action.
Mâle du bombyx disparate
Dans ma précédente chronique, j’indiquais que la femelle est trop lourde pour le vol et qu’elle attend patiemment l’arrivée de son prince charmant. Je n’aurais pas pu aussi bien le dire!
En regardant de plus près une photo que je préparais pour diffuser dans la présente chronique, je notai quelque chose que nous n’avions pas vu à l’œil nu au moment de la capture. Nous pensions prendre des photos uniquement de mâles un peu énervés à voleter et gigoter. Or, dans une petite cavité sous les mâles déchaînés se cachait… une belle femelle! Voilà qui explique le comportement des mâles, tous excités de se rendre au chevet de leur belle aux bois dormants!
Coucou! Dans la cavité (environ au centre de la photo) se cachait une femelle! C’est sa tête que l’on voit.
Malgré le fait que nous avons complètement loupé cette femelle, nous avons été chanceux un peu plus loin, au courant de la même balade. Sur un arbre étaient agrippées deux femelles bien dodues! Je compris pourquoi l’on mentionnait dans les bouquins qu’elles sont trop lourdes pour voler. Leur abdomen était énorme! Il faut croire que les mâles du bombyx disparate apprécient les femelles aux courbes voluptueuses!
Alors que nous prenions ces jolies dames en photo tels des paparazzis devant une vedette, l’une d’entre elles tomba au sol et se mit à battre frénétiquement des ailes tout en se dirigeant à nouveau vers l’arbre, qu’elle comptait escalader. J’en profitai pour la prendre quelques instants dans ma main. Je sentais ses griffes bien aiguisées pénétrer ma peau. Visiblement, elles étaient faites pour bien se tenir à toute paroi verticale!
De petites éponges? Non, des œufs de spongieuse!
Qu’elle ne fut pas ma chance, une semaine plus tard et dans un autre secteur de la ville, d’observer des dizaines de femelles affairées à pondre leurs œufs le long de gros arbres. Les masses d’œufs étaient recouvertes des poils des femelles, mais on pouvait néanmoins deviner plusieurs d’entre eux au travers de ce tapis protecteur. Il y en avait tant qu’on aurait dit que les arbres étaient couverts de petites éponges. C’est d’ailleurs l’allure de ces masses d’œufs qui est à l’origine du nom commun « spongieuse » donné à l’espèce.
Une autre semaine passa, puis je retournai sur les lieux de cette dernière observation pour découvrir que la quasi-totalité des femelles avait accompli la tâche de donner naissance à la prochaine génération. Épuisées, elles s’étaient laissées choir au sol pour y mourir. Comme j’ai une collection d’invertébrés basée sur des organismes que je trouve déjà morts, je me suis payé la traite et j’ai récolté quelques spécimens!
Bref, j’eus droit à une tonne d’observations couvrant la totalité du cycle de vie du bombyx disparate cet été! Une fascinante expérience!
Au Québec, il est possible d’observer les adultes de la mi-juillet jusqu’au début du mois de septembre. Les chenilles, elles, ont normalement complété leur transformation à la fin du mois de juillet. On ne devrait plus en voir. Quant aux chenilles de l’an prochain, elles demeureront bien au chaud dans leurs œufs tout l’hiver durant. Ce n’est donc qu’au printemps 2021 que l’on pourra constater si la vaste quantité d’œufs pondue produit une autre année record.
Pour plus d’information sur cette espèce, je vous invite à jeter un coup d’œil à ma précédente chronique sur le sujet.
Pour terminer, je serais curieuse de vous entendre sur vos observations – adultes ou chenilles – pour cette année, selon le secteur que vous habitez.
Avez-vous également noté cette forte abondance? Ou encore observé des arbres enduits de petites éponges? Vous saurez maintenant qu’il s’agit d’œufs de la spongieuse!
Galerie photo
L’abdomen des femelles est si énorme qu’elles ne peuvent voler!Autre vue sur une femelleUne femelle spongieuse qui se balade sur DocBébitte!On voit les poils laissés sur ces masses d’œufsLes masses d’œufs peuvent atteindre une taille impressionnante!Les œufs sont parfois visibles au travers des poilsCette chrysalide près des femelles pondeuses ne s’était pas encore métamorphoséeUne fois le travail ardu complété, les femelles sont décédées
Pour en savoir plus
Bartlett Wright, A. 1993. Peterson First Guide to Caterpillars of North America. 128 p.