Parlons de frelons !

Ah, la saison estivale !

Les insectes ont sorti le bout de leur nez… et c’est le temps de l’année où je reçois une quantité grandissante de demandes d’aide d’identification !

Ma curiosité a été « piquée » la semaine dernière – sans mauvais jeu de mots ! – par mon cousin qui a observé une très grosse guêpe à son milieu de travail, à Notre-Dame-de-l’Île-Perrot. Souhaitant savoir s’il s’agissait d’un frelon et s’il y avait des raisons de s’inquiéter, il me transmit des clichés, pris par un collègue, qui accompagnent la présente chronique.

La photo initiale prise par le collègue de mon cousin: un frelon européen (Vespa crabro)!

Dans le dernier mois, j’ai remarqué sur les réseaux sociaux une certaine préoccupation en regard de frelons observés justement dans le sud-ouest du Québec… Les inquiétudes tournaient surtout autour d’un certain frelon asiatique géant introduit au Canada et qui serait soi-disant meurtrier.

Quand on utilise des termes aussi alarmistes que « meurtrier », la scientifique en moi ne peut faire autrement qu’avoir un doute et chercher à vérifier la véracité des dires ! Ainsi, j’entrepris à la fois d’identifier l’individu sur les photos transmises par mon cousin, mais également de plonger davantage dans le monde des frelons, un insecte que je n’avais pas encore abordé.

Qu’y trouvai-je ?

Premièrement, l’identité de l’hyménoptère photographié par le collègue de mon cousin : le frelon européen (Vespa crabro). Deuxièmement, plus de renseignements sur les observations reliées au fameux frelon asiatique géant (Vespa mandarinia).

Commençons par le frelon européen.

Ce frelon est une espèce introduite. Il a été observé pour la première fois au Québec à Aylmer, en 2004, et est rencontré chaque année depuis, en particulier dans le sud-ouest de la province. Il tend à attirer l’attention, car il est beaucoup plus gros que ses congénères indigènes. Alors que nos guêpes sociales québécoises mesurent entre 7 à 18 mm, reines incluses, une ouvrière du frelon européen mesure entre 18 à 25 mm… et la reine atteint un remarquable 35 à 40 mm !

À l’instar des guêpes sociales indigènes, comme les guêpes à taches blanches ou les guêpes communes, le frelon européen construit un nid de papier grisâtre. Il préfère ériger son nid dans des cavités existantes, par exemple le creux d’un arbre ou une cavité dans un mur. Il protège son nid contre les intrus et c’est généralement en s’en approchant trop qu’on finit par se faire piquer. En effet, il semblerait autrement que ce frelon ne soit pas particulièrement agressif.

La taille du frelon européen est impressionnante – et un critère pour l’identification.

Qu’en est-il de sa piqûre ?

Les sources que j’ai consultées indiquent que celle-ci est douloureuse, à cause de la taille de l’insecte et de son aiguillon. Néanmoins, sa piqûre n’est pas mortelle, sauf bien sûr si vous souffrez d’allergies aux guêpes et aux autres hyménoptères.

Le frelon européen se rencontre surtout dans les boisés ou à proximité de ces derniers. Il peut être actif la nuit et, par conséquent, on peut l’observer aux pièges lumineux.

Il se nourrit principalement d’arthropodes, dont des araignées et différents insectes, ainsi que de sève, ce qui ressemble au frelon asiatique géant, bien que celui-ci suscite davantage de préoccupations…

Parlons-en, du frelon asiatique géant !

Une première préoccupation liée à l’arrivée de ce frelon au Canada porte sur ses habitudes alimentaires : il se délecte d’insectes et particulièrement d’abeilles domestiques. Il serait susceptible de décimer certaines colonies d’abeilles… elles qui semblent hélas déjà éprouver des difficultés ces dernières années !

Une seconde préoccupation réside dans le terme « meurtrier » qu’on lui attribue. Le frelon asiatique géant est-il à craindre ? Dans les sources citées plus bas, je note peu d’information au sujet de la nature « meurtrière » de ce frelon. Cependant, je lis qu’une sous-espèce de ce frelon – le frelon géant japonais (Vespa Mandarinia japonica) – est connue au Japon pour son agressivité marquée, où 30 à 50 décès auraient lieu chaque année à cause de ses attaques. Considérant la densité de population du Japon et le risque accru de contacts avec les insectes, il est fort à parier que la situation pourrait s’avérer moins critique ici, au Québec. Toutefois, la taille impressionnante du frelon asiatique géant est liée à une quantité plus élevée de venin susceptible d’être injectée lors d’une piqûre. Les gens plus sensibles à ce venin seraient par conséquent davantage à risque. Sans être alarmiste, donc, précaution est de mise !

Pourquoi le nom géant ? Cet arthropode constitue non seulement le plus gros frelon du monde, il est aussi la plus grande espèce d’insectes sociaux connue. Les ouvrières mesurent de 25 à 40 mm, alors que la reine fait de 45 à 55 mm.

Au moment de rédiger la présente chronique, le frelon asiatique géant n’a pas encore été aperçu au Québec. Il a été observé en 2019 dans l’État de Washington (États-Unis) et à Nanaimo en Colombie-Britannique. En 2020, il a été repéré à nouveau à Langley, en Colombie-Britannique et à Custer, dans l’État de Washington. C’est dans ce même État, en octobre 2020, qu’un nid a été détruit. Dans les sources consultées, je n’ai pas trouvé de précisions sur des observations effectuées en 2021 ou 2022.

Selon Étienne Normandin dans cette entrevue, le frelon asiatique géant – tout comme d’autres espèces exotiques envahissantes – peut être introduit en se faufilant dans la cargaison des bateaux qui entrent au pays. Les villes portuaires comme Montréal pourraient donc se retrouver en tête de lice pour abriter un des premiers foyers de l’Est canadien.

Sans être alarmiste, il faut demeurer vigilant et c’est pourquoi des vérifications d’identité – comme mon cousin l’a fait – sont toujours de bonnes idées !

Si l’on veut demeurer vigilant, comment donc procéder pour différencier le frelon asiatique géant des autres hyménoptères déjà installés au Québec ?

Tout d’abord, l’outil d’identification disponible sur iNaturalist est déjà un bon début. Cet outil est performant pour identifier les organismes pris en photo. Selon la qualité de la photo ou selon le nombre d’espèces qui peuvent se ressembler, l’outil peut néanmoins demander de faire davantage de vérifications. Dans ce contexte, vous pouvez vous référer à d’excellents services d’identification comme le service de renseignements entomologiques d’Espace pour la vie. Par ailleurs, il me fera plaisir de vous soutenir au besoin, bien que DocBébitte soit une initiative sur mon temps personnel et que la réponse pourrait vous parvenir moins rapidement que pour les services susmentionnés. Vous en serez avertis !

Pour l’identification, les éléments suivants sont ce à quoi vous devez porter attention (notez qu’il y a des clés d’identification plus poussées et qu’il s’agit ici de quelques astuces générales) :

1) La taille de l’insecte.

Lorsque la taille atteint environ 20 mm ou plus, il s’agit d’une des deux espèces de frelons mentionnées ci-dessus. La guêpe à taches blanches est aussi passablement grosse en apparence (18 mm) et les plus gros individus rivalisent avec les plus petits du frelon européen. Il faut passer à l’étape suivante pour les distinguer.

2) La couleur de l’insecte.

La guêpe à taches blanches est de coloration jaune-blanchâtre et noire, incluant son visage (voir cette photo). Chez le frelon européen, la teinte du visage, qui oscille entre l’ocre et le brun roux, s’en distingue. Certaines marques rousses ou rougeâtres sont aussi présentes sur le thorax, bien que je remarque qu’elles sont plus ou moins prononcées selon les individus (observation basée sur les photos examinées dans les sources citées ci-dessous).

Néanmoins, le frelon asiatique géant peut aussi avoir des touches de roux au niveau du visage, où le jaune domine. Pour s’assurer de bien distinguer les deux frelons, il faut examiner d’autres critères, dont les motifs de l’abdomen. L’abdomen du frelon asiatique géant est caractérisé par une succession de bandes noires et jaune-orangé, relativement droites. En revanche, les derniers segments de l’abdomen du frelon européen sont généralement majoritairement jaunes et flanqués de taches noires situées environ au premier et troisième tiers de l’abdomen (vue dorsale – cet exemple).

Le visage, les antennes et les pattes qui présentent tous des teintes de roux sont aussi des critères utiles pour l’identification du frelon européen.

En cas de doute, il ne faut pas hésiter à photographier vos observations et les faire identifier par les services suggérés plus haut. Une détection rapide du frelon asiatique géant, s’il finit par apparaître au Québec, est la meilleure solution à un contrôle efficace de cette espèce.

D’ici là, doit-on s’inquiéter ? Selon Étienne Normandin, dans l’entrevue mentionnée plus haut, nos hivers plus rigoureux que ceux de l’ouest du pays pourraient limiter l’installation de futurs frelons asiatiques géants. Il n’en demeure pas moins que prudence est de mise ! Et qu’on peut se fier à tous ceux d’entre vous qui gardent un œil attentif sur les insectes qui nous entourent !

Pour en savoir plus

Une coccinelle en harmonie?

La fameuse coccinelle asiatique
La fameuse coccinelle asiatique

Coccinelle asiatique en train de se faire belle
Coccinelle asiatique en train de se faire belle

Photographie d’une coccinelle asiatique soumise lors du concours de photo DocBébitte 2015 par Yohann Chiu
Photographie d’une coccinelle asiatique soumise lors du concours de photo DocBébitte 2015 par Yohann Chiu

Vous êtes nombreux à avoir répondu à la devinette de la semaine dernière… et à avoir trouvé l’identité de l’insecte-mystère, dont je parle aujourd’hui. Bravo!

Il y a quelques semaines de cela, un collègue de travail venait me poser des questions au sujet d’une bête qui s’était introduite par centaines dans son chalet. Il s’agissait de coccinelles asiatiques (Harmonia axyridis). En particulier, mon collègue se demandait si ces dernières se reproduisaient en période hivernale et s’il allait continuer d’en collecter en grandes quantités pendant encore longtemps.

Il ne m’en fallait pas plus pour amorcer quelques recherches sur cette espèce qui est considérée comme introduite et envahissante. En effet, notre joli coléoptère a été introduit en Amérique du Nord aux fins de lutte biologique et un premier foyer d’invasion aurait été identifié en 1988 dans l’est du continent, puis en 1991 dans l’ouest. À noter que des introductions accidentelles peuvent aussi être à la base de certaines des populations envahissantes, selon les sources consultées.

Comme je l’ai déjà mentionné pour la coccinelle à sept points (Coccinella septempunctata) dans cette chronique, les coccinelles – adultes et larves – s’avèrent de voraces prédateurs d’une myriade de petits invertébrés nuisibles comme les thrips et les pucerons. Elles sont donc des créatures bien appréciées des jardiniers, d’où leur introduction initiale dans de nouvelles contrées.

Malheureusement, la coccinelle asiatique s’est avérée être une compétitrice hors pair des autres coccinelles retrouvées à nos latitudes et s’est par conséquent accaparée la niche écologique disponible. En outre, vous avez peut-être vu cet épisode de l’émission Découverte où des chercheurs expliquent que la coccinelle asiatique possède des parasites internes faisant en sorte que ses œufs et larves sont « toxiques » pour les autres espèces de Coccinellidae. Ainsi, les coccinelles autochtones qui se nourrissent des larves de la coccinelle asiatique meurent. En revanche, la coccinelle asiatique se nourrit des œufs et larves des coccinelles indigènes sans problème, ce qui contribue à décimer davantage leurs populations… Vous aurez compris que tout cela n’est pas de bon augure!

Très prolifique, la coccinelle asiatique a envahi nos plates-bandes en grand nombre. Or, lorsque les temps froids s’amènent, cette espèce opte pour un comportement différent des autres espèces. Alors que la commune coccinelle à sept points, par exemple, s’enfouit sous la litière de feuilles, la coccinelle asiatique, elle, tente de fuir les rigueurs de l’hiver en se trouvant un nid douillet… dans nos demeures! C’est qu’elle est frileuse, la dame! Il n’est donc pas surprenant que les témoignages de gens envahis par des centaines de coccinelles asiatiques abondent dans les sources que j’ai consultées.

Mais qu’est-ce qui fait que de vastes congrégations de ces coléoptères envahissent certaines maisons ou certains chalets plutôt que d’autres? Lors des chaudes journées d’automne, les coccinelles asiatiques s’activent effectivement – avez-vous vu les nuées de ces individus en septembre et en octobre? – et pénètrent dans toute fissure ou ouverture donnant accès à un abri plus chaud. Les demeures moins bien isolées risquent par conséquent d’être plus affectées. Aussi, il semblerait que les bâtiments situés près de champs et de zones boisées soient plus touchés. De même, si des murs sont exposés aux chauds rayons du soleil, le bâtiment en question deviendra encore plus attrayant.

La vorace larve
La vorace larve

La larve s’est attachée à une feuille et a amorcé sa métamorphose
La larve s’est attachée à une feuille et a amorcé sa métamorphose

Nymphe de la coccinelle
Nymphe de la coccinelle

J’avais déjà entendu dire qu’il était déconseillé de ramasser ces coccinelles à l’aide d’aspirateurs, puisqu’elles peuvent dégager des composantes irritantes pour les humains. Cependant, mes récentes recherches n’appuient pas ces dires et suggèrent qu’elles peuvent se recueillir à l’aide d’aspirateurs, pourvu que le sac soit vidé rapidement, de sorte à éviter des réintroductions (voir plusieurs des sources citées dans la section Pour en savoir plus). Par ailleurs, les nombreux individus qui ont trouvé une voie vers l’intérieur de la demeure peuvent rester inactifs et hiberner dans les zones plus fraîches comme les vides des murs ou les greniers. C’est lors de périodes plus clémentes qu’ils tendent à émerger, par vagues. Cela explique le fait que les gens envahis peuvent observer des émergences de coccinelles à plusieurs moments, et ce, tout au long de l’hiver!

Vous voulez savoir si les organismes qui envahissent vos demeures sont bel et bien des coccinelles asiatiques? Sachez que les motifs et colorations de la coccinelle asiatique sont très variés. Cette image tirée de Wikipédia en fait une bonne démonstration. Le nombre de points observé mais aussi la couleur globale peuvent changer d’un individu à l’autre, rendant l’identification de cette espèce un peu plus complexe. La forme la plus couramment observée au Québec est la forme orangée ponctuée de 19 points noirs. Mais ne concluez pas rapidement sur l’identité de l’individu si celui-ci est jaune ou noir et est orné de 0 à 20 points, dont certains sont rouges. Il pourrait également s’agir de Harmonia axyridis.

La larve est noire et orange. Elle est munie d’épines et de tubercules bien visibles. De forme rampante et allongée, on tend à la comparer à un crocodile miniature. Cependant, l’étonnante voracité des larves de coccinelles ferait sans doute rougir de gêne tout carnassier reptilien! Celles-ci sont en effet capables de se nourrir de plusieurs dizaines de pucerons par jour!

Lorsque vient le temps de se métamorphoser, la larve s’accroche à un substrat (souvent des feuilles d’arbre) par le bout de son abdomen et se transforme en nymphe. Je croyais ces dernières immobiles, mais je fus surprise de voir ces nymphes bouger alors que je tentais de les prendre en photo, comme en témoigne une des vidéos jointes à la présente chronique.

Les adultes ne se reproduisent toutefois pas dans nos demeures en hiver – c’était une des interrogations de mon collègue de travail. Selon les sources consultées, ces derniers ne survivraient que quelques jours. S’ils parvenaient à se reproduire, les larves extrêmement goinfres n’arriveraient pas à s’alimenter et ne pourraient, elles non plus, subsister.

Malgré leur tendance envahissante, les coccinelles asiatiques ont fait leur place parmi la communauté invertébrée du Québec. Espérons que leur prolifération effrénée connaîtra un ralentissement et que les autres espèces similaires sauront rebondir. Peut-être vivront-elles même en harmonie – sans vouloir faire de mauvais jeux de mots avec le nom du genre « Harmonia »! Entre temps, nous ne pouvons que les admirer… envahissantes ou pas, elles demeurent jolies, non?

 

Vidéo 1. Nymphe de coccinelle asiatique qui bouge. Je fus surprise de faire ce constat… et vous?

 

Vidéo 2. Coccinelle asiatique que j’avais examinée sous mon stéréomicroscope il y a de cela quelques années. Je l’avais recueillie dans une toile d’araignée et l’avait prise pour morte… jusqu’à ce qu’elle se mette à bouger sous ma lentille!

 

Vidéo 3. Coccinelles asiatiques qui cherchent un abri pour l’hiver (octobre 2014).

 

Vidéo 4. Lors de chaudes journées automnales, les coccinelles asiatiques se déplacent en grand nombre afin de trouver un abri. On en voit beaucoup ici, en vol (octobre 2014).

 

Pour en savoir plus