Le bossu de l’asclépiade

Il y a plusieurs années de cela, je vous ai parlé des insectes et autres invertébrés qui sont associés à l’asclépiade (Le peuple de l’asclépiade).

Nombreux d’entre eux portent l’orange et le noir, des couleurs sous le thème de l’Halloween qui approche à grands pas.

Une de mes premières rencontres ! Notez les motifs qui diffèrent.

Pourquoi ne pas vous parler davantage de l’un de ces arthropodes qui, en plus d’arborer fièrement l’orange et le noir, est aussi de bonne taille et amusant à observer ?

Il s’agit de la chrysomèle de l’asclépiade (Labidomera clivicollis).

Comme son nom commun français l’indique, le cycle de vie de ce charmant coléoptère est étroitement lié à l’asclépiade. Tant la larve que l’adulte se nourrissent majoritairement d’asclépiades du genre Asclepias, quoique certaines autres plantes de la famille des asclépiadacées figurent à leur menu.

De taille moyenne (8 à 12 mm selon les sources), l’adulte est facile à identifier. Son dos est très arrondi, comme un dôme; on utilise d’ailleurs le mot « bossu » pour le décrire dans les sources anglophones que j’ai consultées. Sa tête, son pronotum (partie immédiatement située après la tête), ses pattes et le dessous de son corps sont d’un noir comportant des reflets bleu ou vert métallique. Ses élytres, quant à eux, sont flanqués du même noir ainsi que d’une coloration orange bien visible. Evans (2014) précise que les motifs sur les élytres peuvent être variables (voir cette photo sur Bug Guide), certains individus retrouvés dans le nord-est de l’aire de distribution pouvant même présenter une quasi-absence de motifs.

Il est bossu, ce coléoptère !

À propos de l’aire de distribution de la chrysomèle de l’asclépiade, elle couvre une bonne partie de l’Amérique du Nord. Débutant à l’est des Montagnes Rocheuses, elle s’étend longitudinalement jusqu’en Nouvelle-Écosse. Au sud, elle atteint la Floride à l’est et le Mexique à l’ouest. Bref, notre mignon coléoptère est bien connu en Amérique du Nord !

Les pattes, antennes, ainsi que la tête et la face ventrale de l’abdomen sont noires.

Si vous n’avez pas encore rencontré cet insecte, il vous suffit de regarder là où poussent des talles d’asclépiades. Plus spécifiquement, les milieux ouverts comme les parcs urbains, ainsi que les lisières de routes et de boisés constituent des endroits par excellence pour les observer. 

Bien qu’Evans (2008) mentionne que ces chrysomèles ne causent généralement pas d’importants dommages, plusieurs individus peuvent être observés sur de mêmes plants. Une de mes premières observations fut d’ailleurs celle de plusieurs adultes et larves se délectant de quelques plants en bordure des marais de la Réserve naturelle du Marais-Léon-Provancher (Neuville, Québec). J’étais surprise par le nombre appréciable de bêtes en train de dévorer des feuilles d’asclépiades.

Cette rencontre fortuite me permit de prendre quelques clichés du festin en cours, incluant les étranges larves trapues de couleur blanc-jaunâtre et noire (photos à l’appui !).

L’étrange larve s’alimentant près de quelques adultes.

Si l’on revient à la couleur halloweenesque de l’adulte, vous avez sans doute vu une similarité avec le célèbre monarque. Ce papillon porte des couleurs vives afin d’alerter les prédateurs à l’effet qu’il est toxique : la chenille ingère les toxines produites par l’asclépiade et peut rendre malade tout prédateur qui s’en nourrit. Bien que la chrysomèle de l’asclépiade se nourrisse elle aussi d’asclépiades, il semble qu’elle ne soit pas toxique pour les prédateurs. Néanmoins, elle arbore la même coloration orange et noire que le monarque, avertissant les prédateurs d’un potentiel toxique.

Ce subterfuge réduit les probabilités de se retrouver dans l’estomac d’un oiseau ou d’un autre prédateur… et fait que notre coloré « bossu » de l’asclépiade est tout joliment vêtu et prêt pour fêter l’Halloween !

La chrysomèle de l’asclépiade est un insecte facile à manipuler.

Pour en savoir plus

Le peuple de l’asclépiade

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Petite punaise de l’asclépiade dont j’ai parlé récemment

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Monarque – Photo soumise lors du concours amical de photographie DocBébitte par Ludovic Leclerc en 2014

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Arctiide de l’asclépiade

Dans une de mes dernières chroniques, j’écrivais au sujet d’un sympathique hémiptère : la petite punaise de l’asclépiade. J’expliquais notamment que plusieurs insectes se nourrissant d’asclépiades arboraient le noir et l’orange (ou rouge). Pourquoi donc? Simplement pour prévenir les prédateurs qu’ils ont un goût désagréable. En effet, l’asclépiade produit un latex blanchâtre qui contient des substances toxiques pour la majorité des animaux. Il confère toutefois aux espèces qui sont capables de s’en nourrir un mauvais goût.

Cette petite incursion me donna envie de vous parler davantage d’espèces d’insectes que l’on peut retrouver sur l’asclépiade. Celles-ci sont nombreuses!

Hormis notre petite punaise de l’asclépiade (Lygaeus kalmii) dont j’ai déjà discuté et sa consœur, la grande punaise de l’asclépiade (Oncopeltus fasciatus), on retrouve notamment deux lépidoptères et deux coléoptères étroitement associés à cette plante.

L’espèce la plus connue est sans contredit le monarque. Bien que l’adulte se nourrisse du nectar d’une vaste palette de plantes, la chenille a un menu plus limité basé majoritairement sur les asclépiades (diverses espèces). Les femelles pondent leurs œufs sur les plants en question, où évoluent les larves qui deviendront de jolies chenilles rayées de noir, jaune et blanc (voir cette photographie tirée de Bug Guide).

La chenille de l’arctiide de l’asclépiade se développe elle aussi – comme son nom le suggère – sur les plants d’asclépiades. Elle ne daigne pas, non plus, les feuilles d’apocyne. Ces jolies chenilles poilues sont capables de dévorer les feuilles de talles d’asclépiades, en particulier lors de leurs premiers (1 à 3) stades de vie, où elles sont grégaires. Il s’agit d’une espèce que j’observe régulièrement quand je m’amuse à regarder sous les feuilles d’asclépiades au mois d’août. Elle est visiblement commune, du moins dans la grande région de Québec où j’habite. Cela dit, Wikipédia suggère que les personnes plus sensibles pourraient réagir aux poils de ces petites chenilles. Pour ma part, j’en ai manipulé à plusieurs reprises sans aucune réaction.

Deux coléoptères fort colorés sont aussi fréquemment observés sur les plants d’asclépiades. La chrysomèle de l’asclépiade (Labidomera clivicollis) est un coléoptère très commun que je vois systématiquement chaque été lorsque j’arpente les champs et les rivages bordés de « mauvaises herbes ». Ce sont à la fois les adultes et les larves de cette chrysomèle qui se nourrissent des feuilles des différentes espèces d’asclépiades. Les premières photographies que j’ai de cette espèce remontent à l’automne 2006, alors que j’observais des larves et des adultes en bon nombre sur une colonie d’asclépiades au marais Léon-Provancher. J’étais intriguée par ces assez gros (8-11 mm) coléoptères qui sont plutôt tape-à-l’œil avec leur coloration orange et noir irisé (reflets parfois verts, parfois bleus) et leur forme toute ronde. Ils sont en effet fort jolis, ne trouvez-vous pas?

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Ma toute première observation documentée de chrysomèles de l’asclépiade (2006)

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Même moment en 2006 : on voit ici une larve de la chrysomèle de l’asclépiade

Le second coléoptère – le longicorne de l’asclépiade (Tetraopes tetrophthalmus) – est également fort mignon. Bien que Bug Guide indique que cette espèce est très commune là où l’on retrouve des asclépiades, je n’en ai pour ma part j’avais vu de mes propres yeux. Mon père m’a toutefois transmis une photo d’un individu qu’il a pu observer l’été dernier – le chanceux! L’individu se baladait tout simplement dans la cour de mes parents – qui est ornementée de bien des fleurs, mais pas d’asclépiades. Les larves de ce longicorne se nourrissent des racines d’asclépiades et d’apocynes. L’adulte, quant à lui, se délecte des feuilles. Tout comme j’ai pu le lire pour la chrysomèle de l’asclépiade et la chenille du monarque, le longicorne de l’asclépiade coupe d’abord les veines principales des feuilles avant de commencer à les dévorer, de sorte qu’il ne se retrouve pas submergé par le latex produit par les plants endommagés.

Une myriade d’autres espèces sont également attirées par les fleurs des asclépiades, qui produisent un nectar alléchant (lequel n’est pas toxique, contrairement aux feuilles). Ainsi, papillons, abeilles, guêpes, mouches et coléoptères de toutes sortes peuvent être observés butinant sur ces plantes.

Finalement, qui dit insectes (et proies) en grand nombre dit aussi prédateurs abondants! Il n’est pas rare de trouver divers invertébrés prédateurs à l’affut sur les plants d’asclépiades. À titre d’exemple, punaises assassines, coléoptères prédateurs et araignées s’y installent avec l’espoir de dégoter un repas facile. L’été dernier, j’eus ainsi l’occasion de photographier un joli thomise variable (araignée-crabe de l’espèce Misumena vatia) qui attendait patiemment le passage d’une proie. En me documentant aux fins du présent billet, j’entrevis également quelques photographies de différentes espèces d’hémiptères prédateurs dévorant des chenilles de monarque (comme celle-ci).

En outre, les talles d’asclépiades constituent tout un trésor pour l’entomologiste à l’affut d’invertébrés de toutes sortes. Malheureusement, cette plante est malaimée et elle est considérée comme une « mauvaise herbe ». On tend à la bannir de nos plates-bandes, alors qu’elle nous permettrait d’observer une vaste variété d’insectes et même d’oiseaux – car, à ce qu’il semble, les asclépiades attirent aussi les colibris! L’éradication de l’asclépiade en milieu urbain (par exemple, le long des routes ou simplement pour faire place à un stationnement!) et agricole (à cause de l’usage des pesticides, notamment) serait même identifiée comme une cause des fluctuations récentes des populations de papillons monarques. Dans son livre publié en 2004, Schappert mentionnait déjà que les pronostics à l’égard de l’état de santé des populations du monarque nord-américain pour les 20 prochaines années ne sont pas très encourageants. La fragmentation de l’habitat et l’isolement des plants d’asclépiades étaient entre autres pointés du doigt.

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Longicorne de l’asclépiade que mon père a eu la chance de photographier

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Voyez-vous ce thomise variable à l’affut d’une proie?

Pour ma part, je continue de m’amuser chaque été à sillonner les champs de mauvaises herbes et d’asclépiades à la recherche de nouvelles observations. Aussi, je laisse maintenant pousser ça et là les quelques plants d’asclépiades qui se sont semés naturellement dans mes plates-bandes… dans l’espoir éventuel d’y photographier de sympathiques membres du grand peuple de l’asclépiade!

 

Pour en savoir plus