Dans cette nouvelle planche, une patiente inquiète se demande si son appétit d’ogre est normal.
Pas de panique!
Chez les chenilles, l’appétit n’est pas un défaut : c’est une stratégie de survie! Il faut en effet faire le plein d’énergie pour réussir la métamorphose.
Une patiente inquiète rencontre la Doc cette semaine.
À travers les années, j’ai parlé des chenilles à de multiples reprises. Voici quelques faits saillants au sujet de leur alimentation – et les chroniques complètes associées en hyperliens, si vous voulez en savoir plus :
Manger pour se transformer. Les chenilles doivent accumuler des réserves pour la métamorphose. Chez le papillon monarque, la chenille peut prendre en 10 à 14 jours plus de 3 000 fois son poids d’origine! Dans Sa majesté le papillon!
Vivre sur ses réserves. Plusieurs espèces accumulent des réserves qui serviront au stade adulte. Chez la saturnie cécropia, l’adulte ne se nourrit plus et vit sur ces réserves. Dans Un beau gros papillon.
« Gourmets » du potager. La chenille du papillon du céleri raffole de plusieurs plants tels le persil, la carotte, le céleri et le fenouil. À un point tel qu’on les observe souvent dans nos potagers. Dans La chenille gastronome.
Souper de groupe. Certaines espèces vivent et mangent de façon grégaire. Comme la livrée des forêts, qui se nourrit en groupe aux premiers stades de sa vie, pour ensuite rentrer au bercail entre les repas. Dans Une sympathique chenille livrée pour vous!
Qui mange beaucoup… laisse des traces! Les excréments trahissent l’appétit et l’activité des chenilles, comme je l’observe chez la chenille du diacrisie de Virginie. Dans Avoir une faim de… chenille!
Quelle est la morale de cette histoire, Doc? Pour une chenille en santé, l’appétit est une bonne nouvelle. Alors, bon buffet… et rendez-vous au prochain épisode!
À la fin du mois de février, alors que je faisais mes exercices au sous-sol, j’ai été surprise par un papillon de nuit de taille moyenne, volant activement autour de moi.
Que pouvait-il bien faire, en plein hiver, dans ma demeure?
Que fait cet intrus dans ma maison en plein hiver?
Armée de mon iPhone, je pris quelques vidéos qui se retrouvèrent sur Instagram, ainsi que des photos que je diffusai sur les réseaux sociaux. J’étais déterminée à découvrir l’identité de cet intrus.
En parallèle, j’ai capturé le papillon, que j’ai déposé dans une grande cage, avec de l’eau et des fruits. Il faisait encore bien trop froid pour le libérer à l’extérieur!
J’ai documenté son comportement et observé : 1) qu’il semblait se nourrir de l’orange que je lui avais donnée; 2) qu’en plein jour, il se cachait sous un essuie-tout laissé dans la cage, alors qu’il était fort actif le soir venu.
J’espérais le garder jusqu’à sa mort, en pensant ensuite l’examiner de plus près et l’identifier formellement, mais… il réussit à s’échapper de son habitat et je ne l’ai pas revu depuis!
Je vous relate cette petite aventure, aussi capturée en vidéo, ci-dessous.
Vidéo. Comment ma mésaventure s’est déroulée!
Qui est-il?
Première piste : l’algorithme de iNaturalist me souffle un nom : Ufeus satyricus – une noctuelle (papillon de la famille Noctuidae). Un collègue entomologiste (merci, Jean-Benoît!), qui a vu mes photos sur les réseaux sociaux, abonde dans le même sens, ajoutant que c’est une espèce fréquemment observée dans les maisons en hiver. Un suspect de choix!
Son nom anglais – brown satyr moth ou Grote’s satyr – n’a pas de correspondance en français, comme c’est trop souvent le cas pour les insectes.
Fait intéressant, bien que je possède plusieurs ouvrages sur les papillons et leurs chenilles, y compris les papillons de nuit, seulement deux d’entre eux mentionnent le genre Ufeus. Je découvre en outre que les deux genres possibles au Québec – U. satyricus et U. plicatus – sont très semblables. Je ne parviens pas à identifier hors de tout doute mon spécimen.
La chance me sourit peut-être : Handfield (2011) mentionne que « Ufeus plicatus Grt. arbore des ailes primaires d’un beau brun-rouge foncé tandis que les ailes primaires d’Ufeus satyricus Grt. sont plutôt d’un beau brun moyen, ceci ne s’appliquant qu’aux mâles de U. plicatus Grt. et aux deux sexes en ce qui concerne U. satyricus Grt. ». De plus, les notes sur la page Les Insectes du Québec (voir section « Pour en savoir plus » ci-dessous) suggèrent que U. satyricus porte une ligne postmédiane noire sur les ailes antérieures.
Je crois avoir trouvé le truc, mais… en examinant davantage les deux espèces sur Internet, on voit que l’une ou l’autre est tantôt brun-rouge, tantôt brun moyen. De surcroît, la bande postmédiane noire est variable et pas toujours présente quand on examine les spécimens sur iNaturalist ou BugGuide.
Mon Ufeus est d’apparence brune sur cette photo…
Mais il est d’apparence brun rouge sur cette seconde photo!
Enfin, selon l’angle de la photo, mon propre papillon semble parfois brun moyen, parfois rougeâtre… Bref, un vrai casse-tête entomologique!
Verdict final? Je lis que U. plicatus semble nettement plus rare et donc moins probable. Par élimination, je présume dans ce qui suit que « mon » papillon est U. satyricus, comme suggéré dans mes premières recherches.
Vous avez des astuces pour distinguer ces deux espèces? Dites-moi tout! L’enquête reste ouverte!
Ce papillon est d’assez bonne taille : les mâles font de 15 à 22 mm de long, alors que les femelles sont légèrement plus grandes, mesurant entre 19 et 24 mm.
Il est très commun au Canada et on le retrouve d’est en ouest. Au Québec, il est fréquemment observé le long des différentes zones habitées, jusqu’en Côte-Nord.
La chenille se nourrit de peuplier, de peuplier faux-tremble, d’aulne et de saule.
Je m’intéressais beaucoup à connaître l’alimentation de l’adulte, puisque je cherchais comment nourrir celui que j’hébergeais. Or, je n’ai rien trouvé de très probant, hormis Handfield (2011) qui mentionne ne pas l’avoir vu venir à la miellée, contrairement à d’autres papillons de nuit.
J’ai donc laissé un morceau d’orange au papillon et, le lendemain matin, il trônait sur cette dernière. Par contre, je ne l’ai pas vu s’en nourrir activement, donc il persiste un doute sur son alimentation. Je lui ai aussi laissé un morceau de banane et de framboise – ce que j’avais sous la main –, de même que de l’eau. Sans succès. Il semble encore moins s’y intéresser que l’orange!
Mon papillon a trouvé l’orange, mais je ne suis pas certaine qu’il s’en soit nourri.
Pourquoi dans ma maison?
Un papillon de nuit en plein hiver, dans ma maison? Il doit bien avoir une bonne raison d’être là!
Première piste : notre papillon ne fuit pas l’hiver et joue les résistants. Contrairement aux lépidoptères qui migrent ou qui hivernent sous forme d’œuf, de larve ou de chrysalide, il affronte les rigueurs de l’hiver sous forme adulte. D’ailleurs, la plupart des observations de ce papillon se font tôt au printemps (mars et avril) ou tard à l’automne (octobre et novembre), avec un certain nombre d’occurrences recensées tout au long de l’hiver.
Deuxième piste : la température. Certaines sources indiquent qu’on peut apercevoir les adultes lors de redoux hivernaux. Mon moment d’observation coïncide, justement, avec une semaine de redoux, dont des températures flirtant avec le 0 °C.
Troisième piste : Handfield (2011) indique que ce papillon est attiré aux lumières.
Mon hypothèse finale?
L’individu serait entré dans ma demeure lors d’une journée plus douce, attiré par les lumières intérieures. Nous gardons parfois la porte entrouverte quand nous sortons la récupération, ou entrons des objets de la voiture. Il en aurait profité pour se faufiler!
Quant à sa provenance, il y a un boisé près de chez moi où poussent entre autres des peupliers deltoïdes (je me souviens d’en avoir vu), une des plantes-hôtes de cette espèce de noctuelle. Peut-être qu’elle était en transit entre ce boisé et une autre destination, mais qu’elle a été attirée par nos lumières?
Quel que soit le verdict, mon histoire se termine de façon abrupte : mon joli papillon a trouvé une façon de s’échapper de la petite cage où je tentais d’en prendre soin. Sauf si je le retrouve éventuellement séché dans un recoin de la maison, je n’aurai pas la possibilité de l’examiner davantage!
Et le plus étonnant, c’est que je lis qu’un autre collègue entomologiste (page Les Insectes du Québec, citée ci-dessous) a aussi été surpris par une double évasion d’un individu de cette même espèce!
Papillon disparu ou pas… Qu’à cela ne tienne! J’aurai au moins eu une histoire à vous raconter et une petite enquête à élucider!
Pour en savoir plus
Beadle, D. et S. Leckie. 2012. Peterson field guide to moths of Northeastern North America. 611 p.
Savez-vous ce qui se passe à l’intérieur d’un cocon de papillon, en particulier celui tissé par la saturnie cécropia?
J’avais déjà écrit sur ce noble papillon il y a plusieurs années (voir cette chronique).
L’an dernier, j’ai eu le plaisir d’élever des chenilles de ce papillon nocturne fascinant… et le privilège d’observer leur transformation!
J’ai hâte de vous parler davantage de mon expérience!
Aujourd’hui, je vous offre un aperçu inédit de l’intérieur de leurs cocons, après leur incroyable métamorphose. Que reste-il une fois le papillon éclos?
Vous êtes curieux d’en savoir plus?
Découvrons ensemble l’intérieur d’un cocon de papillon dans cette courte vidéo que je vous offre!
Vous êtes nombreux à me transmettre de magnifiques photos d’insectes, parfois pour partager vos observations, parfois pour solliciter mon aide dans l’identification des spécimens croqués sur le vif.
Au début du mois d’août dernier, ma mère me faisait parvenir des clichés pris par mon oncle d’un joli papillon qui était, jusqu’au 21e siècle, rarement observé, voire inexistant au Québec.
Belle observation!
Il s’agissait du grand papillon porte-queue (Papilio cresphontes).
Photo prise par mon oncle au mois d’août 2023.
Ce papillon a suscité un vif intérêt en 2012, alors que des chenilles de cette espèce ont été repérées au Jardin botanique de Montréal. C’était, selon Radio-Canada (2012), la première observation de ces chenilles au Québec.
Originaire du sud des États-Unis, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, ce lépidoptère a étendu son aire de répartition. À la fin des années 1990, il atteignait l’Ontario, pour aboutir à Montréal une dizaine d’années plus tard. D’après Radio-Canada (2012), sa vitesse de colonisation vers le nord a été impressionnante : 15 fois plus élevée que la moyenne des espèces de papillons!
Avec son envergure de 8,3 à 14 cm, il est considéré comme le plus grand papillon diurne du Canada. Sa face dorsale brun foncé ou noire est ornée, sur l’aile antérieure, d’un X jaune bien visible, quoiqu’un peu déformé en apparence. Dans l’est du Canada et à nos latitudes, il se distingue aisément des autres espèces.
Dans la partie nord de son aire de distribution, le grand porte-queue présente deux périodes de vols entre mai et septembre. On peut donc le voir tout au long de la période estivale. Plus au sud, le papillon peut être observé toute l’année.
Cette espèce préfère les habitats ouverts et souvent situés à proximité des plantes hôtes, dont les tourbières, les milieux humides, ainsi que les boisés ouverts, tourbeux et humides. Les adultes sirotent le nectar des fleurs d’une variété de plantes herbacées et arbustives. Ils peuvent donc être attirés dans nos jardins.
La chenille, qui peut mesurer jusqu’à 5,5 cm, arbore des teintes marron et crème. Sa robe, légèrement luisante, imite une fiente d’oiseau, un subterfuge efficace pour éviter de se faire dévorer. Lorsqu’elle se sent menacée, elle peut également gonfler un organe rougeâtre situé derrière sa tête appelé osmeterium (consultez cette photo de BugGuide). En plus de surprendre un potentiel prédateur, l’osmeterium dégage une odeur désagréable. Bref, rien de la chenille ne donne vraiment envie de s’en délecter, n’est-ce pas?
La chenille se nourrit de végétaux de la famille des rutacées, comprenant divers agrumes (Citrus spp.), le frêne épineux (Zanthoxylum americanum), la rue officinale (Ruta graveolens), la fraxinelle (Dictamnus albus) et l’orme de Samarie (Ptelea trifoliata). Sa consommation des feuilles de plants d’agrumes lui a valu le nom anglais d’Orange dog (chien de l’orange) et elle est considérée comme une nuisance dans les plantations d’agrumes.
La chenille mature forme sa chrysalide sur un support vertical. Il s’agit souvent de la plante-hôte, mais elle peut également s’accommoder d’autres objets créés par l’homme, tels que les poteaux et les murs. C’est sous cette forme qu’elle traversera les rigueurs de l’hiver.
La chrysalide est brunâtre et ressemble à un bout d’écorce ou une petite branche morte (voir cet exemple de iNaturalist). Elle peut facilement passer inaperçue. Il n’en demeure pas moins qu’elle est sujette au parasitisme par certaines mouches et guêpes.
L’expansion fulgurante de l’aire de distribution du grand porte-queue est attribuée aux changements climatiques et, en particulier, à la diminution de la fréquence des gels en septembre. Cela favorise la survie d’un plus grand nombre de chenilles, juste avant leur transformation en chrysalide. Si l’on examine les occurrences sur iNaturalist de ce papillon au Québec, on constate que la région de Montréal est maintenant bien couverte. On note aussi des présences ponctuelles à Trois-Rivières et à Québec.
Fait intéressant, mes recherches m’ont permis de découvrir, dans le livre de Handfield (2011), que ce papillon a été observé très localement au Québec, à Châteauguay, dans les années 1880. Malgré moult recherches de Handfield, les spécimens capturés à cette époque n’ont pu être récupérés, ne permettant pas de confirmer hors de tout doute cette observation. Cependant, toujours selon Handfield au moment de publier son livre en 2011, l’espèce était considérée comme éteinte au Québec ou, au mieux, rare et très localisée.
Dans le cas spécifique du grand porte-queue, les répercussions de sa migration vers le nord sur les écosystèmes et les autres espèces d’arthropodes semblent limitées. Ou, du moins, on en parle peu dans les sources consultées.
Néanmoins, cette expansion témoigne de la possibilité que d’autres espèces, potentiellement plus nuisibles pour les écosystèmes ou la santé humaine, puissent se propager plus rapidement que prévu vers nos latitudes. J’avais abordé le sujet de la biodiversité au printemps dernier, un thème qui me tient particulièrement à cœur. Les changements climatiques sont considérés comme jouant un rôle central dans les récents bouleversements recensés dans la biodiversité autour du globe.
Quoi qu’il en soit, le portrait n’est ni tout noir, ni tout blanc. Si, dans le cas des tiques et de la maladie de Lyme, la montée de nouvelles espèces vers le nord est préoccupante, l’expansion du grand porte-queue nous offre l’occasion d’apprécier de toutes nouvelles – et fort jolies – espèces. Espérons que l’impact de ce papillon sera davantage positif… et qu’il sera au rendez-vous l’été prochain, pour le plaisir de nos yeux!
Pour en savoir plus
Bartlett Wright, A. 1993. Peterson First Guide to Caterpillars of North America. 128 p.
Bug Guide. Species Papilio cresphontes – Eastern Giant Swallowtail – Hodges#4170. https://bugguide.net/node/view/3253 (page consultée le 3 février 2024).
Evans, A.V. 2008. Field guide to insects and spiders of North America. 497 p.
Handfield, L. 2011. Guide d’identification – Les papillons du Québec. 672 p.