Je stipule que c’est une tipule!

Tipules larves
Larves de tipules aquatiques

Le jeu de mots était trop tentant! Aviez-vous deviné que l’insecte-mystère de la chronique du 19 janvier était une larve de tipule? Je vous aurais dit que c’était plus particulièrement un Tipulidae, mais il y a eu quelques changements de noms depuis mes études et la famille Tipulidae a été scindée pour notamment former les Limoniidae – famille à laquelle appartient maintenant la larve photographiée. Plus précisément, il s’agit d’un individu du genre Hexatoma. Le sous-ordre demeure Tipulomorpha et on peut donc encore se permettre de les appeler tipules!

Devinette 6b_2015-10-24
Larve de tipule terrestre

Je vous avais déjà parlé des tipules adultes dans cette chronique de 2013 et vous ai relaté l’observation d’une tipule qui a émergé en plein hiver dans ma maison (ici).

Aujourd’hui, je veux plutôt vous entretenir des larves. Depuis les deux chroniques susmentionnées, j’ai eu l’occasion d’observer plusieurs larves en milieu terrestre et de documenter leur comportement sur photos et vidéos. Ma connaissance initiale de ce groupe était basée uniquement sur des individus aquatiques. Il faut dire que les larves de tipules sont fréquemment rencontrées dans nos cours d’eau québécois. Certaines, très grosses, font environ la taille de mon index!

La vaste majorité des tipules est associée à des milieux où le taux d’humidité est très élevé : abords de cours d’eau, plaines d’inondation, litière humide. Cependant, Merritt et Cummins (1996) précisent que quelques espèces sont retrouvées dans les champs… et même en milieu désertique!

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Autre larve retrouvée dans mes plates-bandes

Qu’elles soient aquatiques ou terrestres, les larves de tipules possèdent d’étranges caractéristiques. Leur arrière-train ressemble souvent (plupart des espèces) à une drôle d’étoile : deux stigmates bien visibles se retrouvent sur une surface plutôt plane bordée de lobes de chair plus ou moins longs et en nombre variable. Leur tête, en retrait, peut être visible quand la larve s’agite. J’avais d’ailleurs pris une vidéo d’une larve retrouvée dans mes plates-bandes où l’on voyait la capsule céphalique en question (en fin de chronique).

Fait intrigant, chaque fois que j’ai manipulé une larve de tipule terrestre (quelque 4 ou 5 fois), cette dernière choisit de vider le contenu de son intestin dans ma main. S’agit-il d’un mécanisme de défense? Je serais curieuse d’en connaître la réponse, puisque je ne l’ai pas trouvée lors de mes recherches!

Presque toutes les fois où j’ai mis la main sur une larve terrestre, c’était en jouant dans mes plates-bandes. Ceci n’est pas surprenant, beaucoup de larves étant des déchiqueteurs-détritivores. Elles se délectent de la litière laissée au sol et constituent ainsi un important maillon de la dynamique des écosystèmes terrestres.

Tipulidae_derrière
L’arrière-train peut ressembler à ceci!

Il en est de même pour les espèces aquatiques. Bon nombre se nourrissent des amas de feuilles et de détritus s’accumulant dans certains tronçons de cours d’eau ou de lacs. Certains individus optent néanmoins pour une diète plus protéinée et croquent d’autres invertébrés aquatiques. C’est le cas du genre Hexatoma, notre vedette de la devinette du 19 janvier. Ce genre a la capacité de gonfler les muscles du bout de son abdomen, ce que l’on voyait sur ma devinette. Ce renflement permet à la larve de coincer son corps entre des roches et ainsi être en mesure de manœuvrer pour mieux saisir et maîtriser ses proies. Pratique, quand on ne possède pas de pattes, n’est-ce pas?

Selon Voshell (2002) ainsi que Merritt et Cummins (1996), la famille Tipulidae (avant d’être subdivisée) constituait le groupe de diptères possédant le plus grand nombre d’espèces. Il s’agit en outre d’un grand groupe fort diversifié et retrouvé dans une vaste palette d’habitats. Si vous souhaitez découvrir les larves, il suffit de jouer dans la litière (aquatique ou terrestre) et de garder l’œil ouvert! Si vous êtes chanceux comme moi, vous risquez même de faire entrer un individu par inadvertance dans votre demeure (cette chronique).

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Bon, je me fais encore déféquer dessus!

Si c’est le cas, ne craignez point! Non seulement les larves sont-elles de bons invertébrés recycleurs de la matière organique, les adultes sont inoffensifs et jolis à observer et photographier. Une poignée d’espèces peuvent s’avérer des pestes en milieu agricole, mais, règle générale, nos tipules sont plus des organismes bénéfiques que nuisibles.

Je termine la chronique en vous invitant à visionner une vidéo où l’on voit deux larves de tipules aquatiques. Une, très sombre à gauche de l’écran, semble totalement amorphe et pourrait être confondue avec un débris (je pense à une brindille). Je ne sais pas si elle a été blessée lors de la collecte, car elle semblait intacte. La seconde larve, beaucoup plus active, s’agite et rampe dans le petit plat dans lequel je la détenais. On peut voir certaines caractéristiques internes à travers son corps partiellement translucide.

Je me rappelle encore les hélas que ces deux larves ont suscitées quand elles furent recueillies. J’avais été invitée par le responsable du camp de l’Ere de l’Estuaire – un superbe site pour les amoureux de la nature, en passant! – à animer une sortie avec quelques jeunes du secondaire. Les adolescentes qui étaient avec moi avaient été surprises de réaliser qu’il y avait de la vie sous les roches des ruisseaux et rivières… Et les larves de tipules, par leur apparence singulière et leur bonne taille, avaient suscité un mélange de dégoût et de curiosité! Ce fut une belle découverte à partager!

Vidéo 1. Larves de tipules (et autres insectes) ramassées sur un petit cours d’eau sillonnant le site de l’Ere de l’Estuaire.

Vidéo 2. Tête d’une larve vue sous la loupe de mon microscope. La tête est rétractable; on voit les mandibules se faire agiter, de même qu’une partie de la capsule céphalique vers la fin de la vidéo.

Vidéo 3. Larve de tipule en mouvement.

Pour en savoir plus

Une tipule dans ma demeure… en janvier!

La fin de semaine dernière, ma mère me transmettait par courriel une photographie d’une tipule bien vivante qui s’affairait à voleter dans sa maison. Elle souhaitait confirmer la provenance de cet individu que nous ne sommes pas habitués d’observer en plein mois de janvier.

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Tipule photographiée récemment par ma mère
Tipule Janvier 2015
Tipule observée dans ma demeure en janvier 2015

Étrangement, l’an dernier, j’avais moi aussi observé une jolie tipule dans ma demeure au même temps de l’année (mi-janvier). De même, une lectrice m’avait déjà écrit afin de savoir d’où pouvaient provenir les nombreuses tipules retrouvées dans sa maison depuis quelques hivers. Le nombre n’était pas mentionné, mais il semblait s’agir d’un assez grand nombre d’individus.

En outre, la présence de tipules dans nos demeures pendant les mois hivernaux ne semble pas être une chose rare. Mais d’où peuvent-elles bien venir?

Je vous avais précédemment parlé des tipules dans cette première chronique. Pour ma part, je connaissais déjà les larves des tipules, puisqu’on en retrouve communément dans les milieux aquatiques. En particulier, j’en avais récolté dans plusieurs de nos rivières québécoises. Toutefois, les larves de nombreuses espèces se développent également en milieu terrestre. Ces dernières ont un faible pour les endroits humides, comme la litière de feuilles jonchant le sol ou les troncs d’arbres pourris.

Par conséquent, un pot de fleurs qu’on laisse dehors pendant l’été ou encore le bois mort utilisé pour alimenter un foyer constituent de bons habitats pour ces larves. Vous aurez donc compris que c’est quand on entre nos pots de fleurs ou le bois de chauffage à l’intérieur qu’on y fait aussi entrer les larves de tipules. Si on ne les détecte pas – ce qui arrive habituellement –, celles-ci continuent leur cycle de vie au chaud. Elles émergent donc en tant qu’adultes en plein hiver, alors qu’elles auraient normalement dû ralentir leur développement pendant les mois plus froids et émerger seulement au printemps si elles étaient demeurées à l’extérieur.

Que faire avec ces tipules qui émergent dans nos maisons? Je serais portée à vous dire de les laisser tranquilles, simplement! Incapables de se nourrir convenablement ou de se reproduire – à moins d’en avoir vraiment beaucoup en même temps –, elles mourront après quelques jours et le problème se réglera par lui-même. Si leur nombre est élevé, je ne saurais vous dire si elles pourraient réussir à se reproduire et à pondre dans vos plantes d’intérieur. Vous pouvez toujours les capturer et en disposer comme cela vous convient. Il faut savoir que ces insectes sont inoffensifs pour les humains : ils ne mordent pas et ne piquent pas. Vous pouvez donc les manipuler sans subir d’inconvénients. Naturellement, je prêche toujours pour ne pas blesser d’insectes, mais cette décision vous appartient!

Devinette 6b_2015-10-24
Plusieurs larves de tipules vivent sous la litière au sol – comme celle-ci recueillie alors que je ramassais les feuilles mortes dans mes plates-bandes

Pour terminer, si le problème est récurrent d’année en année, le plus simple est d’identifier la source d’introduction et de l’éliminer. Autrement, il faut accepter le risque d’introduire quelques « amis » indésirables!

Pour en savoir plus

Grouillantes plates-bandes!

Le printemps est enfin de retour! La neige a fondu et c’est le temps de jouer dans nos plates-bandes. Nous ne sommes pas les seuls à « reprendre vie » après ce long hiver! Les insectes aussi attendaient le dégel avec impatience!

Punaise verte
Punaise verte se réchauffant au soleil
Isia Isabella_Printemps
Isia Isabelle, qui se cachait sous les feuilles

En relevant l’épaisse couche de feuilles qui recouvrait mes plates-bandes, j’ai eu la chance cette année d’observer plusieurs invertébrés qui y étaient encore tapis. Visiblement, certains d’entre eux venaient à peine d’émerger de leur torpeur hivernale.

C’est le cas de plusieurs punaises – des hémiptères de la famille des Pentatomidae. Alors que je les découvrais, plusieurs de celles-ci étaient rigides, d’apparence morte. Toutefois, les chauds rayons du soleil avaient tôt fait de les réanimer. Malheureusement, plusieurs d’entre elles ne bougeaient plus et, parfois, étaient fort abîmées : leur carapace dure dépourvue de membres était la seule trace de leur présence passée. Ces dernières n’avaient pas été en mesure de passer au travers du rude hiver.

Au total, ce sont six carcasses de punaises vertes (Acrosternum hilare) que je récupérai pour ma collection, alors qu’une quantité équivalente s’envolait ou se laissait dorer au soleil le temps de quelques clichés. Je mis également la main sur quatre autres punaises vivantes, soit trois punaises euschistoïdes (Euschistus servus euschistoides) et une punaise diminuée (Banasa dimidiata), toutes aussi pressées de se délier les ailes. Vous pouvez en témoigner en visionnant une des vidéos que j’ai prises (insérée à la fin de la présente chronique).

Également, quelques chenilles furent dérangées par mon ménage printanier. C’est le cas de deux spécimens d’Isia Isabelle et de nombreux autres individus que je n’ai pu encore identifier. La litière de feuilles leur aura visiblement servi d’abri hivernal.

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Arrière-train d’une larve de tipule
Araignée_Crocs
Araignée-loup

Que dire des très nombreux détritivores découverts – dont beaucoup étaient déjà actifs? J’ai parlé de plusieurs d’entre eux l’an dernier (voir cette chronique). À cette liste s’ajoutent deux larves de tipules. J’avais antérieurement parlé de cette famille de diptères (cet article), mais n’avais pas de photographies des larves à l’appui. C’est maintenant chose faite! Les larves de tipules, bien qu’elles ressemblent à des chenilles, sont faciles à identifier. Si vous en voyez, vous les reconnaîtrez par leur étrange arrière-train en forme d’étoile. Elles sont aussi dépourvues de pattes, contrairement aux chenilles, et leur tête est rétractable (voir une des vidéos à la fin de la chronique).

À toutes ces sympathiques bêtes s’ajoutaient quelques araignées. En particulier, plusieurs araignées-loup (Lycosidae) sillonnaient mes plates-bandes, sans doute en quête d’un repas. Ces dernières sont faciles à reconnaître si vous daignez les regarder de près. Elles sont munies d’une paire d’yeux assez haut perchés et situés de chaque côté de leur tête. Ce sont également très souvent celles-ci que l’on voit courir rapidement au sol, car elles y chassent! Une autre sorte d’araignée que j’ai retrouvée sous les tas de feuilles jonchant mes plates-bandes est l’araignée-crabe (Thomisidae). Ce groupe aussi est facile à reconnaître, puisque les pattes d’avant sont plus larges que les pattes d’arrière, l’abdomen est plus trapu et la silhouette ainsi créée fait penser à un crabe (voir la troisième vidéo à la fin de la chronique). Ce qui est étonnant à propos de cette famille d’araignées est que certaines d’entre elles sont susceptibles de se fondre dans leur environnement en changeant tout simplement de couleur, à l’instar d’un caméléon (voir ce précédent billet). Très pratique pour demeurer immobile à l’affût d’une proie, n’est-ce pas?

Bien que le ménage du printemps – version « extérieur de la maison » – tire à sa fin, je sais que l’été recèlera d’autres fascinantes découvertes de ce type. Que de plaisirs en perspective!

Et vous, que cachent vos plates-bandes?

 

Vidéo 1. Punaise Euschistoide se déliant les ailes

 

Vidéo 2. Larve de tipule – on peut voir sa tête rétractable

 

Vidéo 3. Araignée-crabe se déplaçant au sol

 

Pour en savoir plus

  • Bradley, R.A. 2013. Common spiders of North America. 271 p.
  • Dubuc, Y. 2007. Les insectes du Québec. 456 p.
  • Wagner, D.L. 2005. Caterpillars of Eastern North America. 512 p.

Des maringouins géants?

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Tipule (Tipula sp.)

Vous les avez sans doute vues, lors de chaudes soirées d’été, se balader autour de vous et des lumières que vous aviez laissé allumées. Vous avez aussi sans doute cru, comme plusieurs, qu’il s’agissait de maringouins géants, prêts à vous piquer. Détrompez-vous! Il s’agit de tipules (Famille : Tipulidae), des insectes totalement inoffensifs!

Je tiens toutefois à vous rassurer : vous n’êtes pas entièrement « dans les patates »! S’il y a un air de famille entre les tipules et les maringouins, c’est que ces deux familles d’insectes appartiennent au même grand groupe : l’ordre des diptères (mouches, moustiques et compagnie!).

Comme les maringouins, plusieurs des larves de tipules naissent et grandissent sous l’eau. C’est d’ailleurs en étudiant les invertébrés aquatiques que j’ai connu cette famille d’insecte. Toutefois, contrairement à d’autres groupes d’insectes qui se développent en milieu aquatique et dont j’ai déjà parlé (plécoptères, odonates, éphémères ou mégaloptères), les larves de tipules ne possèdent pas de pattes, ni de têtes visibles (ces dernières étant rétractées) : elles ressemblent à de gros vers! Vous pouvez voir une larve de tipule sur cette photo, par exemple.

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Tipule tigrée (Nephrotoma sp.)

Les larves vivent non seulement en milieu aquatique, mais on les retrouve aussi en milieu semi-aquatique et terrestre. Elles affectionnent les endroits humides, tels les zones boueuses et la mousse aux abords des cours d’eau, les amas de feuilles mortes, ou encore les troncs morts remplis d’humidité. Elles se nourrissent d’aliments variés. Certaines décomposent la matière organique laissée au sol (feuilles, plantes et bois mort), alors que d’autres sont prédatrices d’invertébrés. Vous vous demandez sans doute comment une larve dépourvue de pattes arrive à capturer et maîtriser une proie? Eh bien, les individus du genre Hexatoma, en milieu aquatique, ont trouvé une solution : ils enflent la portion inférieure de leur corps, qui leur sert de point d’ancrage (voir ces photos). Lorsqu’ils s’élancent sur une proie, ils arrivent ainsi à la maintenir en place, dans leurs mandibules!

En me documentant pour la présente chronique, j’ai appris que certaines larves de tipules terrestres étaient des pestes en agriculture. Celles-ci s’attaquent à différentes plantes fourragères et céréales, ainsi qu’au canola, au maïs et au soja. Elles se nourrissent à la fois des racines (pendant le jour) et du feuillage (pendant la nuit), ce qui ne fait pas d’elles de bonnes amies du jardinier!

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Tipule géante (Tipula abdominalis)

Les adultes, quant à eux, sont complètement inoffensifs. Ils ne se nourrissent absolument pas de sang, même s’ils sont munis d’une sorte de rostre, ou long « museau » (quoique court comparativement aux maringouins; voir cette superbe photo). Ils l’utilisent plutôt pour siroter le nectar des fleurs. Certains sont de très grande taille, comme les tipules géantes (Tipula abdominalis; voir les photos ci-dessous, dans la présente chronique). Toutefois, certaines espèces sont plus petites, tout juste un peu plus grosses qu’un maringouin. Il n’est donc pas surprenant de les confondre avec leurs cousins quelque peu plus dérangeants!

Les tipules comprennent une espèce très particulière, dépourvue d’ailes, que l’on peut observer déambulant sur la neige lors de « chaudes » journées d’hiver (ou journées « moins froides », selon votre préférence!). En voyant les photos de cette espèce dans un de mes livres, j’ai tout de suite reconnu l’insecte qui figurait sur une photo qu’une de mes tantes m’avait transmise l’hiver dernier. Il s’agissait d’un étrange insecte se promenant sur la neige, tout au sommet du Mont Mégantic, et qui ne semblait pas muni d’ailes. Voilà, j’ai trouvé : il s’agit d’une tipule appartenant au genre Chionea! Cette photo d’un internaute vous donnera une idée de l’individu en question. Fait étonnant, le cliché a également été pris au Mont Mégantic – à croire qu’il y a toute une population de ce genre de tipule là-haut!

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Tipule géante à côté de ma main, pour apprécier sa taille!

J’espère vous avoir fait découvrir un nouveau groupe d’insectes – que vous preniez peut-être auparavant pour des maringouins géants! Ainsi, la prochaine fois que vous verrez une tipule, vous saurez qu’elle ne cherche pas à vous vider de votre sang et pourrez l’épargner!

 

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