Histoire d’une photo : Clic ! Clic ! Quel joli coléoptère !

Avez-vous commencé à observer des insectes ce printemps ?

Vous avez sans aucun doute été plus vites que moi pour les photographier !

J’ai été très occupée ces derniers temps : entre des préparatifs pour la Grande Fête de la nature et la préparation d’une conférence sur l’anxiété sociale (eh oui, DocBébitte a d’autres intérêts !), je n’avais pas encore eu de temps libres.

C’est donc samedi dernier, en marchant dans un boisé urbain, que je me suis laissée aller à observer le monde du petit qui s’offrait à moi ! Et je fus gâtée : un joli coléoptère que je ne pensais pas avoir déjà vu se tenait là, devant moi, bien à la vue sur une feuille de trille rouge.

Je n’avais que mon iPhone et nous étions dans un sous-bois ombragé. Les clichés pris ne se sont pas avérés être à la hauteur de ce que j’aime capturer… Mais la bête était si belle que je voulais tout de même vous en parler !

Voici le taupin crucifère, Selatosomus pulcher

Je me suis demandé à quel groupe appartenait mon nouvel ami et j’eus la réponse dès que je tentai de le manipuler : ce dernier émit un très audible « clic, clic ! », tout en rebondissant. Eurêka, j’ai trouvé ! Un élatéridé, appelé en anglais « Click beetle ». Vous aurez compris que ce nom anglais est lié à la propension de cet insecte à rebondir à coup de clics sonores lorsqu’importuné.

Plus précisément, Normandin (2020) explique que cet arthropode, que l’on nomme taupin en français, bloque l’épine du prosternum (face ventrale du premier segment situé immédiatement sous la tête) dans une entaille du mésosternum (face ventrale du second segment, qui suit le prosternum). Il emmagasine ensuite l’énergie dans ses muscles internes, puis la relâche, ce qui débloque d’un coup sec l’épine et lui permet de se propulser dans les airs. Il semble que ce soient à la fois le « clic » sonore et le bond considérable qui suit qui perturbent les potentiels prédateurs.

Je dois avouer qu’il s’agit d’un mécanisme fort utile, car le taupin m’échappa des mains à plusieurs reprises. Je pris quelques vidéos des manipulations, en espérant capturer le fameux « clic, clic », mais en vain. À la place, le taupin finit par s’envoler (voir la vidéo ci-dessous).

L’individu observé était différent de la majorité des taupins que je vois régulièrement, lesquels sont uniformément bruns ou grisâtres. Celui-ci était coloré : noir, rouge et doré s’agençaient pour donner une robe qui ne peut être confondue avec d’autres espèces. Ainsi, il était facile d’identifier le taupin à l’espèce : Selatosomus pulcher, le taupin crucifère.

Cette espèce est commune dans le nord-est de l’Amérique du Nord. Elle fréquente les forêts décidues et les boisés urbains… comme celui que je fréquentais lors de mon observation !

Autre photo du taupin, également prise à l’aide mon iPhone

De taille moyenne – plus ou moins 9 à 15 mm selon les sources – on rencontre ce coléoptère de mai à août. Aussi, il s’agit d’une espèce susceptible d’être attirée par les lumières; on peut donc l’observer ou la capturer aux pièges lumineux.

Bien que commune, mes livres et les sites Internet consultés présentent peu d’information sur cette espèce. Ils abondent toutefois de détails au sujet de la famille des taupins (Elateridae) : de l’origine du nom « taupin », jusqu’à à la larve, appelée ver fil-de-fer, qui est bien connue des agriculteurs.

Je n’aborderai pas tous ces détails dans l’immédiat : je parlerai sûrement de cette famille lors d’une future chronique ! Qu’en dites-vous ?

D’ici là, sortez vos appareils photo – comme je le fais enfin ! – et sortez à la recherche des taupins et autres belles bestioles qui se pointent le bout du nez !

Pour en savoir plus

Tout mignon, le scarabée des marguerites!

L’été dernier, j’ai fait connaissance avec un scarabée tout mignon. Il s’affairait à butiner dans les fleurs de ma weigela, un petit arbuste qui produit de jolies fleurs roses vers le mois de juin.

Le tout mignon scarabée des marguerites

C’est d’abord l’arrière-train poilu d’un insecte en flagrant délit de gourmandise que j’aperçus, la tête bien plongée au centre de la corolle d’une des fleurs de la weigela. Je me suis immédiatement doutée qu’il s’agissait d’un de ces adorables petits scarabées poilus que j’eus le plaisir de voir à plusieurs reprises sur des photos présentées dans les médias sociaux.

Il ne m’en fallut pas plus pour mitrailler l’individu à coups de « clics » de mon appareil photo!

Fait intéressant : le scarabée était talonné par une fourmi qui ne souhaitait visiblement pas partager son repas. La fourmi, présente sur plusieurs de mes clichés, ne cessait de lui mordre les pattes ou l’arrière-train (qui dépassait toujours des fleurs!). Malgré la présence de cet agresseur, le scarabée ne se laissait pas trop impressionner; le nectar était sans doute trop savoureux pour lâcher prise!

Ce n’est que tout récemment que je pris la décision de vous entretenir sur cette observation.

Mon premier aperçu dudit scarabée

Pour identifier le scarabée à l’espèce, j’ai d’abord laissé l’algorithme de iNaturalist m’indiquer des pistes d’identification (si vous ne connaissez pas iNaturalist, je vous conseille d’y jeter un coup d’œil!). J’ai ensuite farfouillé sur Bug Guide à la recherche des critères permettant l’identification plus pointue. Il semblait que deux espèces étaient probables au Québec, soit Trichiotinus assimilis (le scarabée des marguerites) ou Trichiotinus affinis (pas de nom français trouvé).

Sur Bug Guide, je voyais également qu’une troisième espèce, Trichiotinus piger (pas de nom français dans les sources consultées), était retrouvée dans les états et provinces adjacents au Québec. Je n’étais pas certaine s’il pouvait aussi s’agir d’une espèce plausible.

J’en ai donc profité pour publier quelques-unes de mes photos sur la page Facebook Photos d’insectes du Québec (une autre page que je vous recommande!) en demandant des pistes pour l’identification… ce que j’obtins en tout juste quelques minutes de la part d’un collègue entomologiste! Efficace (merci, Nicolas)! Dans les jours qui ont suivi, j’ai reçu d’un autre collègue quelques précisions supplémentaires aussi incluses dans les descriptions ci-dessous (merci, Yves)!

Il s’avérait que je faisais face au sympathique scarabée des marguerites (T. assimilis).

Le scarabée était tourmenté par une fourmi!

En fait, deux espèces de Trichiotinus seulement sont retrouvées au Québec et T. piger n’en fait pas partie, du moins pas au moment d’écrire ces lignes. Alors que l’espèce T. assimilis est très abondante, la seconde, T. affinis, n’a été observée qu’au sud-ouest du Québec, le long de la rivière des Outaouais.

Qui plus est, les deux individus se distinguent à l’aide de simples photos en vue dorsale: notre scarabée des marguerites a la tête et le pronotum (la partie située immédiatement après la tête, en vue dorsale) brun-noir, alors qu’ils ont des reflets verdâtres chez T. affinis. De plus, les bandes obliques blanchâtres qui flanquent les élytres des deux scarabées varient en longueur : elles atteignent le 3e intervalle élytral chez le scarabée des marguerites (bref, elles se rendent plus profondément vers le centre), alors qu’elles ne se rendent qu’au 5e intervalle chez T. affinis. Enfin, on m’a indiqué que la région vers le centre des élytres comporte moins de roux chez le scarabée des marguerites. Tous de très bons conseils!

Le scarabée et son « bourreau » pas très loin!

En poursuivant mes recherches pour vous en écrire davantage sur cet arthropode, qui fait partie de la sous-famille Cetoniinae (les cétoines – un nom commun que vous reconnaissez sans doute), j’ai réalisé que j’avais la réponse devant moi tout ce temps, pour ce qui est des critères d’identification: il s’agit de la clé d’identification des scarabées du Québec, écrite par Hardy (2014)! Avis aux intéressés!

Je dois dire être bien heureuse d’avoir cette clé en ma possession, puisque, de tous les livres que j’ai, c’est la seule qui offre des descriptions plus longues du scarabée des marguerites. Tous les autres ouvrages (Evans 2008, Marshall 2009, Evans 2014) parlent plutôt de l’espèce T. affinis qui semble très abondante en Amérique du Nord (mais qui est peu représentée au Québec).

Comme vous l’avez constaté en regardant mes photos, le scarabée des marguerites est un coléoptère de taille moyenne, faisant 10 à 12 mm. Son arrière-train (le pygidium), de même que l’ensemble de son corps, sont fortement poilus, ce qui lui donne un air fort sympathique, ne trouvez-vous pas? Comme tout scarabée qui se respecte, ses antennes sont garnies de lamelles, une autre caractéristique qui ajoute à son charme.

Les coléoptères du genre Trichiotinus font partie des scarabées les plus communément retrouvés sur des fleurs au nord-est de l’Amérique du Nord. Leur coloration jaune et noirâtre, de même que leur corps poilu fait un peu penser à des abeilles. Ce mimétisme aurait pour fonction de protéger ces butineurs de possibles prédateurs.

Les larves de ce genre de scarabée vivent dans le bois en décomposition, où elles se nourriraient de la matière organique qu’elles y retrouvent. Je n’ai pas déniché davantage de précisions sur leur cycle de vie dans les sources consultées.

On voit les lamelles au bout de ses antennes

Si je me fie à iNaturalist, le scarabée des marguerites, bien répandu au Québec, a été observé aussi loin (au nord) qu’à Chibougamau! On peut apercevoir les adultes surtout pendant les mois de juin et juillet, bien que des observations en mai et en août sont possibles.

Gardez l’œil ouvert l’été venu, car vous pourriez bien avoir la chance de voir la binette de cette cétoine, poilue comme une petite peluche, dans vos plates-bandes!

Pour en savoir plus

Des sous noirs sous l’eau!

Je ne vous avais pas parlé d’insectes aquatiques depuis un certain temps, n’est-ce pas?

Connaissez-vous les psephenidés? Les larves de cette famille de coléoptères (famille Psephenidae) sont aquatiques et sont communément appelées « water pennies », c’est-à-dire « cennes noires aquatiques ».

Pourquoi un tel nom?

C’est que ces larves, de forme aplatie, ne laissent voir que leur face dorsale, brune et ovale, laquelle ressemble effectivement à un sou noir.

Larves de psephenidés

Cette morphologie leur permet d’adhérer parfaitement aux roches soumises aux courants plus ou moins soutenus des rivières où elles vivent. D’ailleurs, elles ont un profil admirablement hydrodynamique: tout appendice – patte, antenne ou autre – est entièrement caché sous la partie dorsale dont les segments forment une sorte de bouclier légèrement bombé qui, si ce n’était pas assez, est bordé de franges de poils permettant d’adhérer encore mieux au substrat.

Sous ces airs de masse brune quelconque se cache pourtant un organisme intrigant! En effet, quand on parvient à déloger une larve d’une roche, on peut apprécier encore plus sa beauté. Sa face ventrale laisse paraître six pattes articulées, permettant de constater qu’un insecte s’y cache bel et bien! Elle laisse également entrevoir une tête qui arbore des antennes ressemblant à des cornes et une bouche comportant de « grosses babines » prêtes à brouter. Ces attributs, plus prononcés chez le genre Psephenus, me donnent l’impression d’observer une sorte de taureau quand j’examine une larve au stéréomicroscope.

Le dessous révèle bel et bien un insecte (genre Psephenus)

À ces caractéristiques s’ajoutent des branchies, servant à la respiration sous l’eau, qui sont bien visibles le long de l’abdomen chez le genre Psephenus (celui que l’on observe le plus souvent). Les membres de l’autre genre retrouvé au Québec, Ectopria, possèdent plutôt des branchies rétractables et cachées dans une « chambre caudale », située tout au bout de l’abdomen. En plus d’utiliser ces branchies, Voshell (2002) ajoute que les psephinidés peuvent aussi tirer l’oxygène du milieu aquatique par l’ensemble de leur surface corporelle.

La comparaison avec le taureau que j’ai effleurée plus haut ne s’arrête pas à la ressemblance physique : les psephenidés appartiennent majoritairement au groupe fonctionnel des brouteurs. Ils s’affairent donc à brouter le périphyton – soit les amas d’algues et de détritus associés qui poussent à la périphérie des roches. C’est ce qui donne l’allure verte ou brune plus ou moins visqueuse des roches submergées. Pour se nourrir, les larves attendent habituellement la nuit pour se déplacer vers le dessus des roches, où elles peuvent brouter les algues les plus nutritives. En plein jour, on les retrouve plutôt sous les roches; c’est d’ailleurs en soulevant des roches submergées et en examinant leurs parois qu’on peut les observer.

La taille d’une larve mature varie entre 3 et 10 mm

Lors de mes études, j’avais analysé le comportement alimentaire de beaucoup d’invertébrés vivant en milieu lotique (cours d’eau où il y a un certain courant), incluant entre autres les psephenidés. Il s’est avéré que les psephenidés étaient nos brouteurs par excellence, démontrant moins d’omnivorie potentielle que d’autres organismes considérés dans la littérature comme étant des brouteurs/herbivores (Anderson et Cabana 2007). Ils ont donc servi à établir la valeur de référence pour un organisme situé à la base des chaînes alimentaires en rivières au Québec. On peut dire qu’ils ont fait partie de mes invertébrés « chouchous » lors de mes études!

Noter la tête avec des lèvres charnues et les antennes en forme de cornes! Une vache aquatique?

Si les larves évoluent dans les rivières, les adultes sont plutôt observés hors de l’eau, sur les roches et la végétation adjacentes. Pour ma part, je n’ai pas eu l’occasion d’observer d’adultes à ce jour, mais vous pouvez vous référer à cette page de Bug Guide si vous êtes curieux de voir ce à quoi ils ressemblent.

Selon Voshell (2002), c’est après une à deux années de croissance que les larves sortent de l’eau pour se métamorphoser. Les adultes qui en émergent ne se nourrissent pas (ou très peu) et ont une courte durée de vie. Ils procèdent promptement à la copulation, à la suite de laquelle les femelles descendent sous l’eau pour déposer leurs œufs, d’un jaune brillant, en amas sur des roches.

Si vous avez lu mes précédentes chroniques, vous savez que j’ai un intérêt pour l’utilisation des invertébrés aquatiques en tant qu’indicateurs de l’intégrité des milieux d’eau douce. Les psephenidés font partie de tels bioindicateurs. Leur présence en cours d’eau peut dénoter une certaine pollution, puisqu’ils sont plutôt tolérants à différents polluants. La cote de tolérance qui leur est associée est d’ailleurs de 4 (Hauer et Lamberti 2007, MDDEFP 2013), soit approximativement à mi-chemin entre un invertébré intolérant à la pollution (0) et très tolérant (10). Vous pouvez jeter un coup d’œil à ce billet si vous voulez en savoir plus sur les invertébrés bioindicateurs en rivières.

Les deux genres retrouvés au Québec: Ectopria à gauche et Psephenus à droite

Concernant leur tolérance, j’ai très souvent observé des psephenidés dans des rivières situées sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent, où les activités agricoles affectent davantage les cours d’eau (MELCC 2020). Celles-ci s’avèrent notamment enrichies en nutriments (comme l’azote et le phosphore), favorisant la croissance du périphyton qui est la source de nourriture des psephenidés. Justement, c’est lors de deux sorties récentes (en 2021) sur des cours d’eau de la rive sud du fleuve Saint-Laurent touchés par des activités agricoles (rivières Nicolet et du Chêne) que j’ai pris bon nombre des photos et des vidéos qui accompagnent la présente chronique.

Si je vous parle beaucoup des larves dans la présente publication, c’est que mes recherches m’ont permis de constater que les adultes sont beaucoup moins connus. L’ouvrage de Evans (2014) permet d’apprécier deux espèces sur les cinq qui seraient retrouvées dans l’est de l’Amérique du Nord. Normandin (2020) précise quant à lui que trois espèces sont retrouvées au Québec. Pour faire la connaissance des adultes, il me faudra sortir des cours d’eau et examiner les roches et la végétation qui les bordent!

On retrouve les larves de psephenidés sous les roches des cours d’eau

De votre côté, si vous souhaitez aller à la rencontre des larves, tout ce dont vous aurez besoin est de bottes pour descendre à l’eau. Vous n’avez qu’à viser un tronçon de rivière peu profond, où il y a un certain courant et où des galets sont présents. Il vous faudra ensuite simplement soulever et examiner les galets… et sans doute un peu de patience pour déloger doucement les larves des roches auxquelles elles s’accrochent!

Aurez-vous la main chanceuse pour découvrir quelques-uns de ces « trésors » de sous noirs?

Pour en savoir plus

  • Anderson, Caroline et Gilbert Cabana. 2007. Estimating the trophic position of aquatic consumers in river food webs using stable nitrogen isotopes. Journal of the North American Benthological Society 26(2): 273-285.
  • Borror, D.J. et R.E. White. 1970. Peterson Field Guides – Insects. 404 p.
  • Bug Guide. Family Psephenidae – Water Penny Beetles. https://bugguide.net/node/view/36129
  • Evans, A.V. 2014. Beetles of Eastern North America. 560 p.
  • Hauer, F.R., et G.A. Lamberti. 2007. Methods in stream ecology. 877 p.
  • Merritt, R.W. et K.W. Cummins. 1996. Aquatic insects of North America. 862 p.
  • Ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP), 2013. Guide de surveillance biologique basée sur les macroinvertébrés benthiques d’eau douce du Québec – Cours d’eau peu profonds à substrat grossier. 88 p.
  • Ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC). 2020. Rapport sur l’état des ressources en eau et des écosystèmes aquatiques du Québec 2020. 480 pages. https://environnement.gouv.qc.ca/eau/rapport-eau/rapport-eau-2020.pdf
  • Moisan, J. 2010. Guide d’identification des principaux macroinvertébrés benthiques d’eau douce du Québec, 2010 – Surveillance volontaire des cours d’eau peu profonds. 82 p. Disponible en ligne : http://www.mddelcc.gouv.qc.ca/eau/eco_aqua/macroinvertebre/guide.pdf
  • Normandin, E. 2020. Les insectes du Québec. 620 p.
  • Thorp, J.H., et A.P. Covich. 2001. Ecology and Classification of North American Freshwater Invertebrates. 1056 p.
  • Voshell, J.R. 2002. A guide to common freshwater invertebrates of North America. 442 p.

Une collection d’insectes… sans en tuer directement?

Faire une collection d’insectes (et autres invertébrés) sans tuer de nouveaux organismes, est-ce possible?

Oui, pourquoi pas!

C’est ce que je vous présente dans le cadre de cette vidéo prise lors d’un Facebook Live le 11 décembre 2021.

Je vous donne quelques conseils pour savoir où regarder… et je vous montre des spécimens à l’appui! Le tout appuyé de quelques sympathiques anecdotes!

Bon visionnement!

Criocère du lis : ma vie c’est d’la m… !

Eh oui, j’ai bel et bien osé nommer cette chronique ainsi !

(Pour ceux qui s’y connaissent peu côté culture populaire, une pièce musicale franco-canadienne interprétée par Lisa LeBlanc et qui a remporté un franc succès porte ce titre.)

C’est que je veux vous parler d’un insecte dont le stade larvaire est fort étonnant et consiste… à s’enrober dans ses excréments pour échapper aux prédateurs ! Rien de moins !

Derrière ce superbe adulte se cache une enfance troublante !

Il s’agit du criocère du lis (Lilioceris lilii), un invertébré que vous connaissez sans aucun doute si vous avez des lis dans vos plates-bandes.

Le criocère du lis doit en effet sa renommée au fait qu’il cause d’impressionnants dommages aux lis, de jolies fleurs que beaucoup d’entre nous aiment voir trôner dans nos plates-bandes. Introduit d’Europe, la plus ancienne observation à nos latitudes serait au Québec, et plus spécifiquement dans la région de Montréal, en 1943.

J’avais déjà pris quelques photos et vidéos de ces insectes, mais je n’avais pas été aussi gâtée que cet été. Dans les plates-bandes de l’humble demeure où je suis récemment aménagée poussaient quelques plants de lis, plutôt chétifs. Néanmoins, je les ai laissés croître, espérant voir quelques jolies fleurs s’y épanouir. Ce fut le cas… bien que les plants aient été complètement assiégés par des larves et adultes du criocère du lis.

Le criocère du lis… dans mes lis!

Adhérant déjà à la philosophie du Jardinier paresseux (voir la section Pour en savoir plus), je savais que la meilleure option était de laisser aller les choses… et d’en profiter pour documenter le fascinant cycle de vie du criocère du lis.

À cet effet, quel cycle de vie particulier ! Les larves et les adultes rongent non seulement les feuilles des lis, ils peuvent aussi s’attaquer aux boutons floraux et manger les fleurs. Or, c’est la larve qui se démarque par sa façon d’échapper aux prédateurs… et de répugner les jardiniers qui chercheraient à s’en débarrasser !

Cette dernière s’enroule dans son mucus et ses excréments !

J’ai pu observer des larves de bonne envergure dans mes lis cet été. Nous avons pris des photos et des vidéos de ces larves… et je dois avouer que leur vue m’a plutôt dégoûtée, bien que je sois une amoureuse des insectes et autres invertébrés. La larve ressemble à une sorte de blob visqueux de couleur tout aussi ragoûtante variant entre le jaune, le kaki et le brun ! Même dépourvue de sa généreuse couche de mucus et d’excréments, la bête a une allure particulière : l’abdomen, renflé et jaune, est démesuré à côté de la petite tête et des pattes noires.

L’adulte, de son côté, est nettement plus charismatique. Faisant de 6,3 à 7,3 mm de long, sa tête, ses pattes et sa face ventrale sont noires, alors que ses élytres sont d’un rouge vibrant et brillant. J’en apercevais en grande quantité, souvent affairés à s’accoupler pour produire une autre génération d’étranges larves gluantes.

L’adulte est de taille moyenne

D’ailleurs, les recherches que j’ai effectuées pour écrire le présent billet m’ont permis d’apprendre qu’il y aurait d’une à trois générations (ce chiffre varie selon la source consultée) de ces insectes annuellement au Québec, dont une première génération d’adultes qui émergent tôt au printemps, vers le mois d’avril. De quoi à décourager les jardiniers qui les aiment nettement moins !

Revenons justement aux dommages générés par les criocères du lis. Le Jardinier paresseux recommande vivement – et simplement – d’arracher tous les végétaux auxquels s’attaquent les criocères du lis : lis (Lilium), lis géants (Cardiocrinum) et fritillaires (Fritillaria). Selon Smeesters et coll. (2005), ces arthropodes aimeraient également croquer quelques autres espèces, lorsque leurs plantes favorites ne sont pas disponibles, dont les sceaux-de-Salomon (Polygonatum spp.), les streptopes et les smilacines.

Cette larve couverte de mucus et d’excréments est la larve du criocère du lis!

Si vous cherchez malgré tout à préserver vos lis et êtes prêts à y mettre beaucoup d’énergie, le Jardinier paresseux passe en revue (et critique) quelques méthodes populaires. En voici un résumé (allez sur le site du Jardinier paresseux pour les détails) :

  • Récolte manuelle. Implique d’ausculter les lis tôt tous les matins et d’enlever à la main les adultes et les larves, puis de les jeter dans l’eau savonneuse ou les écraser. Les œufs jaunes, rouges ou orangés, d’environ 1,5 mm de long, peuvent également être repérés ainsi et retirés des plants. À noter que j’ai lu que les criocères du lis peuvent striduler bruyamment s’ils sont perturbés; ne soyez donc pas surpris s’ils lancent un cri lorsque vous les manipulez !
  • Marc de café. Il s’agit de l’épandre au sol afin de cacher l’odeur du lis. Il semble cependant, selon le Jardinier paresseux, que cette stratégie ne fonctionne pas.
  • Plantes répulsives. Il serait véhiculé que le fait de planter certains végétaux près du lis repousse le criocère… Un mythe à nouveau déboulonné par le Jardinier paresseux.
  • Vaporisations. Il s’agit de vaporiser différents produits sur les lis ou directement sur les criocères, dont de l’huile de neem, des savons insecticides et du savon à vaisselle. Le traitement semble avoir du potentiel, mais nécessite des vaporisations fréquentes et risque d’affecter d’autres insectes plus désirables (comme les abeilles, par exemple).

Espace pour la vie ainsi que Smeesters et coll. (2005) suggèrent quelques astuces supplémentaires :

  • Couvrir les plants d’une fine toile au printemps pour empêcher les adultes de les atteindre;
  • Pour la récolte manuelle, utiliser un tissu ou contenant au-dessus duquel secouer les plants ou utiliser un aspirateur manuel;
  • Ramasser ou brûler les végétaux morts et les débris au sol à l’automne pour réduire les refuges hivernaux possibles (par contre, vous réduirez ces refuges pour les autres invertébrés qui peuvent s’avérer utiles);
  • Vaporiser les plants d’un extrait de tanaisie pour masquer leur odeur;
  • Biner le sol autour des lis au printemps et à l’automne afin d’exposer les criocères aux intempéries et aux prédateurs.
Larve du criocère du lis et ses dégâts sur le feuillage

Une autre option : plantez des hémérocalles, de jolies fleurs qui ressemblent à celles du lis et que j’adore personnellement. Elles sont de bon couvre-sol (peu d’herbes indésirables poussent à leur pied), demandent très peu d’entretien et fleurissent en une vaste gamme de couleurs ! Qui plus est, les criocères ne s’en nourrissent pas !

En ce qui concerne les lis de mes propres plates-bandes, j’ai laissé les adultes et les larves de criocères du lis vaquer à leurs occupations. Ces individus, bien nourris et engraissés, ont sans doute pour leur part été loin de penser qu’ils ont eu une vie de m… !

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