Histoire d’une photo : l’anax d’Amérique, un grand voyageur!

Chaque été, alors que d’autres reçoivent des cartes postales ou des photos de couchers de soleil, j’ai plutôt le plaisir de recevoir, de parents ou d’amis… des photos d’insectes! Dont plusieurs que je n’ai pas eu la chance de photographier moi-même.

C’est le cas de la vedette du jour : un splendide anax d’Amérique (Anax junius; aussi retrouvé sous le nom d’anax de juin ou anax précoce, selon les sources). Il s’agit d’une grosse (68-80 mm) libellule colorée de la famille Aeshnidae.

La photo provient de Karl, un compagnon de randonnée de mon conjoint, visiblement bien informé du curieux penchant que la douce moitié de son comparse a pour les insectes!

Le bel anax d’Amérique, photographié par Karl.

J’ai reconnu la superbe libellule au premier regard : thorax vert éclatant, abdomen bleuté… aucun doute! Et il s’agit d’une espèce que j’ai sur ma liste d’envies. Jusqu’ici, mon seul cliché remonte à mon voyage en Californie, dans la Vallée de la Mort, où je n’ai photographié qu’un individu moribond. Karl, lui, a eu la chance d’en dénicher un bien vivant – et perché!

Le spécimen moribond que j’ai trouvé.

Pourtant, l’anax d’Amérique n’est pas une espèce si rare. C’est juste qu’il est difficile d’en surprendre un, tranquillement perché, à attendre de se faire prendre en photo!

La marque en forme de cible.

Je vous mentionnais que cet arthropode se reconnaît facilement. En matière d’espèces similaires à nos latitudes, l’anax d’Amérique se distingue des autres membres de la famille Aeshnidae par la combinaison verte et bleue du mâle, qui est unique. La femelle ou les individus immatures peuvent être confondus avec l’anax ardent (A. longipes), retrouvé dans les états américains bordant le sud du Québec. Néanmoins, l’anax d’Amérique possède une marque en forme de cible (bull’s eye en anglais) sur le dessus du front, ce qui permet de l’en distinguer.

Autre point : la tenue du mâle semble facile à reconnaître, mais qu’en est-il des femelles et des immatures? En particulier, je voulais confirmer que le spécimen croqué sur le vif par Karl était bien un mâle. Je croyais que tous les mâles arboraient un abdomen largement bleuté. Or, ce n’est pas tout à fait exact. Dans un nouveau livre sur les libellules que je me suis offert ce printemps – Lam, 2024 – j’ai lu que les mâles immatures ou retrouvés à des températures plus froides peuvent exhiber un abdomen mauve à brun roux. L’abdomen de la femelle, quant à lui, semble pouvoir osciller entre le vert et le brun-kaki. Mais, à des latitudes plus faibles, comme dans la Vallée de la Mort, il peut s’avérer davantage bleuté. Comment donc s’assurer que les individus sur mes différentes photos sont des mâles ou des femelles?

J’ai appris deux autres trucs très utiles pour ce faire!

Premièrement, la bande sombre dorsale qui court au centre de l’abdomen s’interrompt au troisième segment chez le mâle, mais remonte jusqu’au second chez la femelle.

La bande sombre dorsale se rend au second segment chez la femelle (à gauche) et en est absente chez le mâle (à droite).

Ensuite, les appendices tout au bout de l’abdomen (appendices caudaux) sont munis d’une petite pointe visible chez le mâle, alors qu’ils sont arrondis et d’apparence plus lisse chez la femelle.

On devine la petite pointe chez le mâle (à droite) par opposition à la femelle (à gauche).

Verdict? Le spécimen figurant sur la photo de Karl est un mâle! Alors que celui que j’ai observé en Californie est une femelle.

Identification : faite! Passons maintenant à ses habitudes.

Je laissais entendre plus haut que cette espèce ne s’arrête pas assez souvent à mon goût pour se laisser photographier. C’est que le mâle est affairé à patrouiller activement autour des milieux aquatiques à la recherche d’une partenaire. Néanmoins, une fois qu’il a déniché une femelle, le couple forme un tandem et il procède à la ponte en gardant cette position. Cela est un fait inusité au sein de la famille Aeshnidae et constitue un critère pour distinguer les anax d’Amérique des autres membres du groupe.

La ponte peut se faire dans les milieux à proximité d’où le tandem est formé, ou s’exécuter à bien des lieues de là. En effet, l’anax d’Amérique est reconnu comme un migrateur susceptible de se déplacer vers le nord au printemps, et vers le sud à l’automne, pour coloniser de nouveaux horizons. Certaines sources suggèrent d’ailleurs qu’il y aurait cohabitation des populations migratrices et résidentes de cette espèce en Amérique du Nord. Les populations résidentes, elles, sont composées d’individus pondus pendant l’été, mais qui demeurent sous l’eau pendant tout l’hiver, pour se métamorphoser sur place l’été suivant. Bref, notre belle libellule combine deux stratégies pour assurer sa pérennité.

Cette aptitude à migrer fait qu’elle figure parmi les premiers odonates observés au début de l’été à nos latitudes – dès mai, selon Paulson (2011). À cet effet, Savard et collab. (2022) suggère que l’un des noms français de cette espèce, anax précoce, « évoque l’arrivée hâtive des premiers individus migrateurs au Québec ».

L’anax d’Amérique est couramment retrouvé autour d’étendues d’eau calmes. Les naïades (stade juvénile) se développent d’ailleurs dans les milieux lentiques, c’est-à-dire là où le courant est faible ou inexistant. On les observe donc dans les étangs, les lacs, ainsi que les tronçons calmes de rivières.

Je vous ai mentionné à de multiples reprises que les libellules sont des prédateurs hors pair. L’anax d’Amérique n’y échappe pas. Tant les naïades que les adultes constituent de voraces prédateurs. Ils sont jugés utiles, car ils se nourrissent notamment des larves ou des adultes de moustiques (Culicidae), de mouches noires (Simuliidae) ou de mouches à chevreuil (Tabanidae)… Plus efficaces que n’importe quel chasse-moustique! De plus, il s’agit de libellules si grosses qu’on retrouve même sur leur menu des papillons et… d’autres libellules!

En plus de constituer l’une des premières espèces observées au Québec, cette flamboyante libellule fait partie de celles rencontrées plus tard, à la toute fin de l’été, en septembre. Gardez donc vos yeux – et vos appareils photo – grands ouverts : vous pourriez peut-être encore croiser ce grand voyageur… en train de faire une pause rare et précieuse!

Pour en savoir plus

  • Bug Guide. Species Anax junius – Common Green Darner. https://bugguide.net/node/view/585 (page consultée le 9 août 2025).
  • Desroches, J.-F. et Tanguay M. (2025). Les invertébrés du Québec et leurs noms français. En collaboration avec l’Office québécois de la langue française. Québec. 518 p.
  • Entomofaune. Les libellules du Québec – Morphologie. https://entomofaune.qc.ca/entomofaune/odonates/Morphologie.html (page consultée le 9 août 2025).
  • iNaturalist. Anax de Juin (Anax junius). https://inaturalist.ca/taxa/67731-Anax-junius (page consultée le 9 août 2025).
  • Lam, E. 2024. Dragonflies of North America. 446 p.
  • Marshall, S.A. 2009. Insects. Their natural history and diversity. 732 p.
  • Ministère du tourisme, de la chasse et de la pêche. 1963. Les libellules du Québec. 223 p.
  • Normandin, E. 2020. Les insectes du Québec et autres arthropodes terrestres. 610 p.
  • Pilon, J.-G.et D. Lagacé. 1998. Les odonates du Québec. 367 p.
  • Paulson, D. 2011. Dragonflies and damselflies of the East. 538 p.
  • Savard, M. 2011. Atlas préliminaire des libellules du Québec (Odonata). 53 p.
  • Savard, M., et collab. 2022. Nomenclature française des libellules du Québec et du Canada. 40 p.
  • Savard, Michel. 2025. Liste des 153 espèces de libellules (odonates) inventoriées au Québec. Entomofaune du Québec (EQ) Inc. https://entomofaune.qc.ca/entomofaune/odonates/Odonates-Docs/Liste_odonates_20_janvier_2025.pdf (page consultée le 26 juillet 2025).

Une collection d’insectes… sans en tuer directement?

Faire une collection d’insectes (et autres invertébrés) sans tuer de nouveaux organismes, est-ce possible?

Oui, pourquoi pas!

C’est ce que je vous présente dans le cadre de cette vidéo prise lors d’un Facebook Live le 11 décembre 2021.

Je vous donne quelques conseils pour savoir où regarder… et je vous montre des spécimens à l’appui! Le tout appuyé de quelques sympathiques anecdotes!

Bon visionnement!

Gagnante ex aequo 2021, partie 1 : La périthème délicate par Sylvie Benoit

La semaine dernière, je vous annonçais les deux gagnantes ex aequo du concours amical de photographie DocBébitte. Cette semaine, je vous entretiens au sujet de l’insecte représenté sur le premier des deux clichés gagnants : la périthème délicate.

Photo gagnante: la périthème délicate par Sylvie Benoit

Cette photo de Sylvie Benoit est une belle découverte pour moi. Lors de la soumission de sa photo, Sylvie me suggérait qu’il pourrait s’agir d’une espèce de sympétrum. En fouillant dans mes livres et sur le site des libellules du Québec, je demeurais cependant sceptique : les ailes ambrées et les pattes orangées ne cadraient pas avec les espèces de sympétrum retrouvées au Québec.

En cherchant davantage dans le guide de Paulson (2011), je trouvai qui était cette belle inconnue : la périthème délicate (Perithemis tenera). Reconnaissable justement par ses ailes ambrées et ses pattes orangées, il faut ajouter que cette libellule a peu fréquemment été observée au Québec, outre quelques occurrences tout au sud de la province (Entomofaune du Québec Inc. 2008-2021; Savard 2011). Cela concorde bien avec l’observation de Sylvie faite au Parc National de Plaisance, situé au sud du Québec et près des frontières ontariennes.

Les motifs de couleur sur l’abdomen constituent un autre indice qui aide à l’identification. Dans le cadre du concours de photographie, j’utilise les photos telles qu’elles m’ont été envoyées. Par contre, en effectuant un traitement « post-concours » sur le cliché (que je joins dans le présent billet, côte à côte avec la photo originale), on voit apparaître des motifs plus pâles le long de l’abdomen (voir aussi ce cliché de Bug Guide). Ces motifs, combinés à la couleur des ailes et des pattes, permettent d’identifier sans contredit que nous avons devant nous un mâle périthème délicate.

La femelle, de son côté, est assez distincte du mâle. Ses ailes, qui ne sont pas aussi ambrées, sont également flanquées de taches sombres (voir cette photo de Bug Guide).

Quelques ajustements dans la couleur de la photo font ressortir la teinte du visage et de légers motifs sur l’abdomen

Je n’avais pas réalisé la petite taille qu’avait cet insecte avant d’examiner des photos sur le site Bug Guide. La périthème délicate doit peut-être son nom au fait qu’elle semble en effet toute menue et frêle, du haut de ses 20 à 25 mm (ce qui est petit pour une libellule). Il s’agit d’ailleurs d’un autre critère utile à son identification.

La toute petite périthème n’est toutefois pas si douce : les mâles protègent farouchement leur territoire, d’un diamètre allant de 3 à 6 mètres. Il arrive même que Messieurs décident de « capturer » d’autres mâles en tandem afin de les empêcher de flirter avec les femelles du coin (le tandem est la position que prend le mâle et la femelle qui s’accouplent – j’en parle ici).

Les mâles qui parviennent à se trouver une compagne copulent brièvement : une moyenne de 17 secondes selon Paulson (2011). Eh oui, il faut croire que quelqu’un s’est amusé à chronométrer des libellules en pleine copulation !

Les œufs fécondés sont pondus sur des objets humides situés à l’interface entre l’air et l’eau, comme des herbiers flottants de plantes aquatiques ou des troncs partiellement submergés. Il s’agit d’habitats davantage lentiques, c’est-à-dire où le courant est faible : lacs, étangs et bras de rivières calmes. C’est dans ce milieu que vont évoluer les naïades qui, comme toute naïade de libellule qui se respecte, s’avèrent être de voraces prédateurs. À l’instar des adultes, les naïades sont petites et font 15 mm à maturité.

Fait intéressant, les sources que j’ai consultées indiquent que la périthème délicate est une bonne imitatrice. Les deux sexes, mais particulièrement les femelles, auraient développé une certaine expertise pour imiter les guêpes ! Avec leur corps un peu plus foncé et parsemé de lignes jaunes, elles hocheraient leur abdomen ou leurs ailes de sorte à ressembler aux guêpes : des insectes nettement moins désirables aux yeux des prédateurs ! Leur petite taille, approchant celle des guêpes, ajoute au subterfuge et elles sont même en mesure de confondre quelques entomologistes en herbe ! Gardez donc l’œil ouvert !

Voilà qui complète cette première chronique de deux visant à mettre en vedette les taxons qui figurent sur les photos de nos deux gagnantes de cette année.

Félicitations à nouveau à Sylvie Benoit pour cette victoire ex aequo et merci encore à tous ceux qui ont voté !

Pour en savoir plus

  • Bug Guide. Species Perithemis tenera – Eastern Amberwing. https://bugguide.net/node/view/8058 (page consultée le 11 octobre 2021).
  • Entomofaune du Québec, Inc. 1988-2021. Les libellules du Québec – Liste des espèces. http://entomofaune.qc.ca/entomofaune/odonates/Liste_especes.html (page consultée le 6 octobre 2021).
  • Evans, A.V. 2008. Field guide to insects and spiders of North America. 497 p.
  • Hutchinson, R. et B. Ménard. 2016. Naïades et exuvies des libellules du Québec: clé de détermination des genres. 71 pages.
  • Paulson, D. 2011. Dragonflies and damselflies of the East. 538 p.
  • Savard, M. 2011. Atlas préliminaire des libellules du Québec (Odonata). 53 p.

Deux gagnantes ex aequo pour le concours de photo 2021 !

Cette année, la période de vote pour le concours de photographies m’aura tenu en haleine jusqu’à la toute dernière journée.

En effet, ce sont six photos, de six photographes différents, qui se sont fait la course côte à côte jusqu’à la toute fin ! Je croyais bien devoir vous annoncer six gagnants… mais les votes du dimanche 3 octobre, dernière journée où je recevais vos votes, furent déterminants.

Aussi, je suis bien heureuse de laisser le public voter et de m’abstenir de tout vote, puisque ce sont deux membres de ma famille qui ont gagné. Il faut dire que la pomme n’est pas tombée très loin de l’arbre et beaucoup de gens de mon entourage sont des amoureux de la nature et de la photographie; ils ont amplement participé au présent concours en transmettant plusieurs photos !

Vous avez également été bon nombre de lecteurs DocBébitte à soumettre de superbes clichés : tant qu’à moi, vous êtes tous gagnants et des dizaines d’amateurs auront vu passer vos magnifiques clichés ! On m’a même déjà parlé de certaines de vos photos sur lesquelles figurent tantôt des insectes moins connus, tantôt des invertébrés qui étaient fort abondants cet été ! Bravo et merci pour votre participation !

Comme promis, je m’affairerai à vous concocter non pas une, mais deux chroniques pour vous parler davantage des organismes qui figurent sur les deux photos gagnantes de cette année, soit :

  • La périthème délicate par Sylvie Benoit;
  • L’araignée-loup par Céline Benoit Anderson.

Avez-vous hâte d’en savoir plus sur ces bêtes pour lesquelles vous avez voté ?

La suite viendra sous peu !

Merci encore pour votre grande participation, tant par la soumission de photos que par vos votes ! Pour les clichés qui n’ont pas remporté la victoire, ce n’est que partie remise ! On se revoit l’an prochain ?

La périthème délicate de Sylvie Benoit a séduit plusieurs voteurs!
Est-ce l’apparence en peluche de cette araignée-loup qui a fait fondre les coeurs?

Nouvelle capsule vidéo: libellules en devenir!

Les libellules, on les aime!

Mais avant de devenir des insectes gracieux et colorés, saviez-vous que ces fabuleux organismes amorcent leur vie sous l’eau, en tant que « bébittes brunes »?

C’est ce que je démystifie pour vous dans cette capsule vidéo que j’ai pris grand soin de vous concocter.

Vous y apprendrez en outre:

  • Que les jeunes libellules en devenir s’appellent des naïades;
  • Qu’elles sont de voraces prédateurs;
  • Qu’il y a deux sous-ordres qui existent, lesquels ont des caractéristiques fort différentes;
  • Qu’elles respirent sous l’eau à l’aide de mécanismes surprenants.

Prêts à plonger à leur découverte? Écoutez la capsule!